Chronique pour « Les enfants de la fleur de chardon »

Josselyne Chourry

Un poème « comme une métaphore de rechange à la fin du festin » (p 15) est-il un dessert ou une entrée à la table de Maria Postu ? Est-il le fruit d’une nostalgie lointaine seulement ou encore une nécessité d’exprimer une faim insatiable d’être en ce monde ?
Le style particulier de Maria surprend au premier abord, puis on est pénétré par lui, submergé par la profusion de son langage, imprégné de son environnement prosodique jusqu’à partager « le pain rassis et les figues sèches » (p 7). Alors, on entend la voix de la poétesse nous sustenter « derrière le rideau de velours, derrière les milliers de décors transformés les uns dans les autres / d’une pièce à l’autre » (p 8) puis on peut « se laisser porter par le son jusqu’à la scène / au milieu d’un décor inconnu » (p 9).
Maria Postu questionne le passé, l’enfance et tout ce qui s’inscrit sur la rétine de ses souvenirs … elle questionne même le néant ! Dans son « Voyage vers la vie », il y a « La face cachée du conteur », peut-être aussi « La mort à l’aube » … autant de titres perlés de phrases énigmatiques aux confins de l’hermétisme, mais qui restent néanmoins ardemment poétiques. A eux seuls, les titres font poème. La poétesse ne pose jamais réellement ses mots mais les suspend en vol, « la lumière de la rose remplace le livre » (p 14) et voici « des villes en chrysalide, des planètes en miniature » (p 16) que l’on emportent dans un incessant voyage en soi. Telle Cendrillon qui « s’est trompée de vocation en devenant dompteuses de tigres », Maria Postu vit des métamorphoses mais en chacune d’elles revient la femme qui est paradoxalement « cette femme qui n’est jamais revenue » tandis qu’elle cherchait « sa boucle d’oreille perdue en mer » (p 25). Que cachent ces mots ? – Si ce n’est la face immergée d’un iceberg qui recèle les mystères profonds de la psyché humaine !
Si « la boite aux lettres du ciel est pleine de lettres / non lues » (p 44), assurément ma bibliothèque poétique s’est enrichie des poèmes de Maria en ouvrant avec elle « la porte du paradis perdu » là où se cache notre âme d’enfant.
Indéfinissable, insaisissable, inclassable, la poésie de Maria Postu sort le lecteur de son confort, elle le malaxe d’incertitudes et de comparaisons, elle le déracine de son fauteuil, elle l’éparpille et le dissémine entre ses phrases surprenantes, « et quels poèmes survivraient à tant de variations de température dans nos cœurs ? » (p 43)
Il y a à la fois un côté shakespearien chez Maria Postu et l’âme d’une tragédienne grecque, ou encore le fragilité d’une bande son « comme dans un film rembobiné jusqu’à la rupture de la bande… » et puissions-nous dire comme elle « chaque jour, je me demande si mon année la plus heureuse est passée / ou si elle se profile à l’horizon » (p 51).
Son cri, ses angoisses et ses désarrois, sont aussi nôtres, enfouis profondément. Lorsqu’ils affleurent à la conscience, ils semblent surgir de nulle part dans un retour amer sur soi où toutes nostalgies a cependant la capacité de soulever des espoirs quand « les Juliette fatiguées dépoussièrent la dernière édition de Shakespeare » (p 32). Ce cri mouvant (comme la vie) tolère « les poèmes en désert et les mots en jardin » qui poussent les poètes à s’enliser dans les chemins de blessures qui transcendent la feuille blanche.

Du Fol Amour à la Grâce

Camille Seinobec

Ce premier recueil de Camille Seinobec se déploie en deux parties distinctes, chacune marquant une étape de son cheminement littéraire. Dans la première partie, Aimer la vie, on retrouve l’Amour, la Fantaisie et l’Humour, des thèmes déjà présents dans « Éros en rit encore ! » de Régine Nobécourt-Seidel. La vulnérabilité humaine, avec ses regards et ses paradoxes, est évoquée et moquée avec sensibilité dans des textes accessibles à tous. Chaque lectrice ou lecteur peut s’y reconnaître. Beaucoup de ces poèmes sont de véritables chansons, d’ailleurs déjà fredonnées.
La seconde partie, Et puis la Grâce, se présente comme un aboutissement. Elle offre des textes en prose poétique d’une portée philosophique plus prononcée, invitant à une redécouverte de soi. Les préoccupations contemporaines y sont palpables, comme dans le poème La Sueur des hommes, où « la Terre se meurt et s’épuise ». Le rôle crucial de la mémoire est également exploré, cette mémoire sans laquelle nous serions si peu : « Notre mémoire est une véritable écritoire ». Cependant, c’est avec l’Avenir en point de mire que l’Imaginaire nous emporte, rappelant que chacun de nous est plus qu’une simple poussière d’étoile, mais bien l’Étoile-même.
À travers l’un de ses avatars, Camille Seinobec, Régine Nobécourt-Seidel démontre que personne ne peut dire « je suis UN ». Chaque écrivain abrite en lui plusieurs entités qui se manifestent selon les circonstances. Pour elle, il est indéniable que l’auteur est toujours un personnage en soi, unique pour chaque œuvre. On peut parler du métier d’écrivain, où l’auteur, en créant une œuvre, devient le premier personnage – distinct, extérieur, mais toujours différent de l’être de chair et d’os dont il émane. Celle qui a écrit La petite Bleue n’est absolument pas la même que celle qui compose ce recueil de 2024. Tout est toujours fiction. Une poussière d’étoile écrit sous l’impulsion d’une inspiration qui la touche et l’anime. Ainsi, telle une étincelle, une œuvre naît.

Format 145 x 205 mm, 96 pages / 12 images en N&B

Accord des on

Jean-Paul Gavard-Perret

Voici des instantanés matinaux venus à peine de la tête d’un esprit qui ne sait rien de l’heure. Mis au jour, ils viennent pendant le sommeil. Ils s’adressent au visible ou à son contraire. Leurs incongruences
sémantiques – sans chercher à quelque chose de linéaire – prolifèrent pour le plaisir. Elles appellent la protection du songe dans un regard de l’aube tout comme dès un crépuscule appesanti.


Auteur prodigieux s’exprimant avec la fluidité d’une respiration, Jean-Paul Gavard-Perret dévoile, avec « Accord des on » son huitième ouvrage, depuis deux ans de collaboration, sous les auspices des éditions Constellations. Son style atypique, dépourvu d’équivalent, déconcertant – pour ne pas dire sidérant dans sa plus pure expression littéraire – éveille l’imaginaire du lecteur et lui offre une porte entrebâillée, l’incitant à apporter sa propre contribution et interprétation selon l’humeur et la fantaisie de chacun.

Format 135 x 205 mm, 72 pages N&B

Sainte Rita ou le pari

Chronique sur le recueil « Quand la vie… »

Comme le pré­cise si jus­te­ment J-F Bla­vin pré­fa­cier de cet ensemble de poèmes, « Char­lotte Rita essaye de tenir une balance de jus­tesse entre les anges et les démons qui flottent autour d’elle ». Son monde est peu­plé de l’univers du merveilleux et du magique comme autant de la dou­leur et de la dif­fi­culté d’être des abysses du quo­ti­dien selon une variété de for­mats et scan­sions poétiques.

Côtoyant la volonté et le décou­ra­ge­ment, néan­moins l’amour per­dure. La pos­tu­la­tion bau­de­lai­rienne de Dieu et de Satan reste éga­le­ment. Ici, le temps fuit et s’oublie. Le corps de la poé­tesse flotte par­fois en divers cou­rants et laby­rinthes. Aspi­ra­tions et sup­pliques se succèdent pour que l’amour et sa musique des âmes tiennent.

Des images assom­brissent, d’autre éclairent en épou­sant ce qui est. Par­fois, il s’agit de cher­cher des raisons men­songères, des excuses pour sau­ver ce qui peut l’être. Mais des fantômes de la jeunesse comme du ciné­ma­to­graphe ne se font pas for­cé­ment la belle.

À l’inverse, la poé­tesse l’est : elle cultive les com­plots de ses rêves pour anéan­tir ce qui est. Pas ques­tion pour autant de pei­gner l’âme en ange. Au sein de rap­ports de domi­na­tions ou de fan­tas­ma­go­ries, prise, éprises entre l’absurdité, le désordre, etc., l’auteure tient. Sa volonté la trans­porte tout en pré­ser­vant sa luci­dité face aux illu­sions sans pour autant se conten­ter de pan­se­ments fac­tices même si par­fois un « cré­pus­cule liber­tin » allume un chant d’amour. Voire… car les sor­ti­lèges de l’amant « devenu jon­gleur » cachent le « Lan­ceur de pierres et de frondes ».

Fidèle à son carré d’as, Char­lotte Rita peut jouer au Casino du des­tin à la table de l’espoir. Mais méprises, larmes, cré­du­li­tés donnent de mau­vaises cartes. Tou­te­fois se dissipent l’audace, la raison folle, l’abandon du dépit, face aux épreuves et acci­dents. Preuve qu’une telle auteure marche et avance. Déchi­rant les vieilles images, que vogue encore son navire. Et le der­nier poème de ce livre ouvre un sublime Pari : le jeu est moins hasar­deux que pascalien.

Jean-Paul Gavard-Perret

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