Jabadao du cœur ébloui – Retour



La gigue du Jabadao

J’hésite entre les mots (quelque peu désuets, je l’avoue) de canaille, chenapan ou gredin pour qualifier Daniel Malbranque et voici pourquoi. J’ai pour habitude de lire la préface d’un livre, seulement après en avoir achevé la lecture. Et quand je l’entrepris à propos de ce Jabadao-là, je blêmis. Le coquin m’avait chipé mon idée ! En une phrase il avait dit l’essentiel de ce que je voulais signifier après la lecture de son dernier recueil et du coup, il ne me reste plus que des miettes. Voyez plutôt : « Depuis si longtemps je respire poésie, je marche poésie, je dors poésie, je vis poésie et au moment de mourir je n’en saurai pas plus sur ce que cela signifie. »

Par ailleurs, à la lecture du titre : Jabadao du cœur ébloui, le sudiste que je suis s’est interrogé : « Jabadao qu’ès aco ? ». L’auteur (coquin) m’a fait patienter jusqu’à la page 161 pour me l’apprendre. Évidemment, si j’avais lu tout de suite la 4ème de couverture, j’en aurais été informé illico, mais là encore, ne voulant pas me laisser influencer, je n’en ai pris connaissance qu’en toute fin.

« Poésie la vie entière » est le beau titre qui résume l’œuvre de Cadou. On pourrait appliquer la même formule à Daniel Malbranque dont l’existence est absolument vouée à la poésie. Sa connaissance des œuvres de tous pays et de toutes époques est proprement encyclopédique. Mais il ne s’agit pas chez lui d’un savoir remisé dans la naphtaline. Il s’en nourrit au quotidien. Les mânes des plus anciens et illustres d’entre les poètes tels que Villon, Rimbaud, Baudelaire ou Verlaine volettent autour de lui comme des bien vivants. Et il continue de dialoguer au quotidien avec des disparus aux noms improbables, moins célèbres mais non moins chers à son cœur, tel le professeur Guinahoëc qui le traitait de « ‘Tit’ tête de radis creux » ou encore Boussugues, Spiz, Rascle, voire Cabral.

Les éditions Constellations ont eu une vraiment bonne idée de rassembler un tel florilège d’un ensemble de ses poèmes semés dans diverses revues et publications durant ce dernier quart de siècle. Outre les auteurs bien aimés qui sont légion et qu’il honore avec de constants bonheurs d’expression, Daniel convoque pour des offrandes honnêtes la gent ailée, les fleurs, les étoiles, les eaux vives, le vent et aussi la gent aimée (les parents, la Muse, Osiris le fils) en poète franc du collier : « Je chante faux et je m’en fous ;/ car ce que je cherche en moi c’est la voix/ secrète de l’émoi. »

Cela exprimé sur tous les tons, en virtuose : goguenard, joyeux, grave, tragique et dans tous les modes : sonnet, distiques, tercets, vers libres voire anarchistes (comme lui) ou rimés, selon sa fantaisie. Et ce diable de « chasseur de voyelles illuminées » apprivoise même son après-vie. Ainsi, le poème Volontés n’a rien à envier à la Ballade des cimetières de l’oncle Georges. En attendant il a encore « dix mille poèmes en tête » à propos de tout et de rien, c’est-à-dire de la vie qui va qui vient et que, toute innocence retrouvée, il décline sous forme de comptine, en tous lieux, au jardin ou au supermarché : « Allant matin / chercher un pain / Je sais qu’en ma tête / un poème va naître/ »

Jacques Ibanès

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