
Perles de rosée et fleurs de nuage
« La grâce de l’enfance est la disgrâce de l’âge mûr. » regrette amèrement le grand poète italien Umberto Saba, dans ses Raccourcis (1945). Ouvrage qui ressort de l’art de l’aphorisme. Cet art pour lequel Nicolae Petrescu-Redi met en œuvre toute sa grâce reconnue de poète. C’est ainsi que nous devons saluer son dernier recueil intitulé A travers la rosée et les nuages ( éd. Constellations, 2022). L’aphorisme a cette vertu de suspendre la pensée dans une éternité de l’instant. Et lorsque celle-ci s’exerce autour du thème de l’enfance, toute la magie d’un temps, où le rossignol de l’arbre généalogique gazouille, éblouit le moindre mot. Nicolae, les enfants s’interpellent par leur prénom, excelle à lever ainsi l’imagination jusqu’au conte de l’écho.
Par étymologie, l’aphorisme est ce qui définit, ce qui délimite. Le tour de force de Petrescu-Redi est au contraire de nous propulser hors des limites. La littérature n’est pas assez vaste pour contenir l’émoi, la justesse et la beauté d’une seule de ses splendides assertions. A chaque phrase il atteint l’Eden de la poésie. N’est-ce pas ce qu’il semble dire lorsqu’ il affirme que la plume du perroquet est belle jusqu’à ce que vous la trempiez dans l’encre ?
Nous revenons à l’enfance omniprésente dans ce court recueil, magnifiquement traduit par Amalia Achard. L’auteur sait ce qu’il doit à cet âge paradisiaque. A travers ses rêves, son imagination, son innocence sa pureté mais aussi son sens de l’essentiel, et son esprit d’aventure, il traverse toute la panoplie des sentiments dans des formules qui percutent et en même temps nous laissent heureux de voir les portes du Possible s’ouvrir. Angélisme, pourrait-on croire ; il est vrai que l’enfant prête ses ailes pour que nous rejoignons son ciel. Cependant le poète n’oublie pas que l’enfance peut être sans enfance, que si l’étoile de la mère s’est éteinte son ciel demeure, que le sang du soldat ne se transforme pas en eau mais en larme d’orphelin. Il n’est pas alors anodin que le livre soit dédié entre autres aux enfants ukrainiens.
Aux aphorismes, Nicolae Petrescu-Redi ajoutent dans son recueil une quinzaine de poèmes sur le même thème des vertes années aux secrets parfois douloureux. La même grâce que dans les aphorismes nous emporte. Je retiendrai particulièrement celui consacré à Mon Père où il est dit : enfant / mon père me réveillait / de bonne heure / et je l’aidais / à semer / des horizons. Tout est là, en quelques mots simples suffisants à nous faire entrevoir l’amour entre un père et son fils.
Devenu adulte, Nicolae nous révèle que sous sa cape de poète il continue à porter un pantacourt. Sous la cape de Nicolae Petrescu-Redi devenu poète continue à battre un cœur d’enfant.
Daniel Malbranque, poète, écrivain, animateur de la revue littéraire
La Vie Multiple, membre du comité de rédaction d’Instinct Nomade
Comment exprimer l’essentiel en peu de mots ? Dès les premières pages de ce recueil de Nicolae Petrescu-Redi, nous entrons dans l’art ciselé des aphorismes qui atteint la cime de la plus haute concision. En une ou deux phrases à peine, surgit une idée ou une image, serties dans le langage aussi sûrement qu’un rubis dans le chaton d’une bague.
« L’enfant aime la neige / C’est la crème chantilly sur le gâteau de l’enfance ». Voici une image qui se forme aussitôt sur la rétine du cœur, car chez le poète le cœur voit, le cœur palpite, le cœur chante aussi bien ses émois que ses joies. Le cœur ébahi de l’enfant en soi EST en toutes choses. L’essentiel tire son essence subtile du ciel car « Nous cherchons l’enfance dans la sphère de la musique / et la trouvons dans la musique des sphères ».
Par petites touches de mots, N. Petrescu-Redi peint l’enfance en aphorismes colorés et vient nous prendre par la main pour une ronde cosmique car « Dieu aurait pu créer Adam et Eve enfants, mais comment les aurait-il distingués des anges. ».
Sommes-nous des enfants exilés dans un corps d’adulte ? Avons-nous vraiment oublié « Les années de l’enfance – gardiennes des châteaux de sable » ? Faut-il croire, comme le suggère le poète, que la nostalgie du paradis n’est que la nostalgie de notre enfance perdue ? – Alors l’Éden serait un jardin d’enfant !
Hélas, il y a les ombres à l’affût de l’innocence quand « Les premières bombes de la guerre, mon petit, / tombent sur l’usine à jouets ».
Le lecteur français est appelé à découvrir les textes de ce poète roumain, traduit par Amalia Achard (on oublie trop souvent le travail gémellaire d’un bon traducteur afin qu’un livre franchisse les frontières).
N’oublions jamais que lorsque « L’enfant peint les icônes – l’ange découvre le miroir ». Ainsi, « A l’arbre de la connaissance, n’allez pas muni d’un sac de couchage ! »
Josselyne Chourry (20 août 2023)