Volent âges

Retour de lecture du recueil « Du Fol Amour à la Grâce »

Dolente de l’ombre, l’amoureuse se veut ici belle cap­tive rêveuse. Enfin, presque. Ces décla­ra­tions intem­po­relles ou non dis­tri­buent à la pas­sion du corps et du cœur une grâce cer­taine, le jour et la nuit, des sources à la mer. Son désir fou fut par­fois à l’envers Hôtel de Roissy, à Venise ou à Mel­lieha Bay — his­toire de renaître aux essences pre­mière jusqu’à deve­nir femme ailée et en ape­san­teur.
Pour une telle femme, l’écriture est mémoire, mais c’est un lâcher-prise aussi pour que remontent cer­tains ivresses, par­fois sobres — mais ce ne sont pas les seules. Avec la sueur des amants, la clé du bon­heur s’ouvre par­fois. Et de gré plus que de force.

Dès lors, pour L’Effacée la vie est une fête. Et dans ce but peut suf­fire le songe d’un jour d’été ou un moment de sieste ves­pé­rale en un duel sen­ti­men­tal qui efface toute mélan­co­lie au par­fum de vanille ou de gre­na­dine. Tout se joue par­fois à la limite du visible ou du fan­tasme et c’est un par­fait délice.
Certes, existe par­fois la vanité aveugle, si bien que « cha­cun trompe l’autre Mur­mu­rant pate­nôtre » en une his­toire somme toute banale de notre temps. Mais il existe de bels et bons fes­tins de l’amour par­ta­gés sans savoir qui ensor­celle ou mange l’autre. Mais la partie est gagnée. Et sur­tout, elle reste à recom­men­cer. En avance donc, pour ne jamais ces­ser : les âges importent si peu.

Jean-Paul Gavard-Perret

https://www.lelitteraire.com/?p=103015

Attentat du tableau

Yannick Girouard

Dans ce roman puissant, d’une actualité brûlante, situé dans le contexte de la guerre israélo-palestinienne, nous suivons Gabriel Ruevos, un grand reporter profondément marqué par les horreurs de tous les conflits qu’il a traversés, alors qu’il sort d’une clinique psychiatrique. Sa compagne, artiste
peintre palestinienne, tente de l’aider à travers ses tableaux. Cependant, ses toiles ne font pas seulement débat, elles suscitent même le scandale dans les milieux concernés : en parodiant notamment le Guernica de Picasso, elle célèbre le destin malheureux de son peuple et son espoir de paix. Elle ose représenter, au centre de l’œuvre, Gabriel, son époux. Ce dernier incarne-t-il déjà la victime émissaire, selon la philosophie de René Girard ? L’amour le mènera-t-il jusqu’au sacrifice pour devenir l’incarnation de sa propre image dans le tableau ? Les rebondissements et les tensions maintiennent
jusqu’au bout un suspense captivant.
Yannick Girouard ne lésine pas sur son talent de conteur. Il tisse une histoire palpitante aux personnages plausibles et dialogues convaincants, ce qui séduit davantage le lecteur plongé dans l’univers décrit avec l’habileté des grands auteurs.

Format 145 x 205 mm, 198 pages / 1 en couleurs

Comme une ombre attentive

Marie Sirinelli

Comme une ombre attentive
[…]
Tu es toujours l’enfant
Qui cria de joie pour son premier pas,
Fit d’un escalier un château
Et caressa une fleur.
Si le temps a si vite passé,
C’est pour mieux réunir
Cet enfant et ton cœur voûté
Pour que la vie,
Comme une ombre attentive,
Ait tourné, sans rien effacer.

Format 145 x 205 mm, 80 pages N&B

Chronique pour « Les enfants de la fleur de chardon »

Josselyne Chourry

Un poème « comme une métaphore de rechange à la fin du festin » (p 15) est-il un dessert ou une entrée à la table de Maria Postu ? Est-il le fruit d’une nostalgie lointaine seulement ou encore une nécessité d’exprimer une faim insatiable d’être en ce monde ?
Le style particulier de Maria surprend au premier abord, puis on est pénétré par lui, submergé par la profusion de son langage, imprégné de son environnement prosodique jusqu’à partager « le pain rassis et les figues sèches » (p 7). Alors, on entend la voix de la poétesse nous sustenter « derrière le rideau de velours, derrière les milliers de décors transformés les uns dans les autres / d’une pièce à l’autre » (p 8) puis on peut « se laisser porter par le son jusqu’à la scène / au milieu d’un décor inconnu » (p 9).
Maria Postu questionne le passé, l’enfance et tout ce qui s’inscrit sur la rétine de ses souvenirs … elle questionne même le néant ! Dans son « Voyage vers la vie », il y a « La face cachée du conteur », peut-être aussi « La mort à l’aube » … autant de titres perlés de phrases énigmatiques aux confins de l’hermétisme, mais qui restent néanmoins ardemment poétiques. A eux seuls, les titres font poème. La poétesse ne pose jamais réellement ses mots mais les suspend en vol, « la lumière de la rose remplace le livre » (p 14) et voici « des villes en chrysalide, des planètes en miniature » (p 16) que l’on emportent dans un incessant voyage en soi. Telle Cendrillon qui « s’est trompée de vocation en devenant dompteuses de tigres », Maria Postu vit des métamorphoses mais en chacune d’elles revient la femme qui est paradoxalement « cette femme qui n’est jamais revenue » tandis qu’elle cherchait « sa boucle d’oreille perdue en mer » (p 25). Que cachent ces mots ? – Si ce n’est la face immergée d’un iceberg qui recèle les mystères profonds de la psyché humaine !
Si « la boite aux lettres du ciel est pleine de lettres / non lues » (p 44), assurément ma bibliothèque poétique s’est enrichie des poèmes de Maria en ouvrant avec elle « la porte du paradis perdu » là où se cache notre âme d’enfant.
Indéfinissable, insaisissable, inclassable, la poésie de Maria Postu sort le lecteur de son confort, elle le malaxe d’incertitudes et de comparaisons, elle le déracine de son fauteuil, elle l’éparpille et le dissémine entre ses phrases surprenantes, « et quels poèmes survivraient à tant de variations de température dans nos cœurs ? » (p 43)
Il y a à la fois un côté shakespearien chez Maria Postu et l’âme d’une tragédienne grecque, ou encore le fragilité d’une bande son « comme dans un film rembobiné jusqu’à la rupture de la bande… » et puissions-nous dire comme elle « chaque jour, je me demande si mon année la plus heureuse est passée / ou si elle se profile à l’horizon » (p 51).
Son cri, ses angoisses et ses désarrois, sont aussi nôtres, enfouis profondément. Lorsqu’ils affleurent à la conscience, ils semblent surgir de nulle part dans un retour amer sur soi où toutes nostalgies a cependant la capacité de soulever des espoirs quand « les Juliette fatiguées dépoussièrent la dernière édition de Shakespeare » (p 32). Ce cri mouvant (comme la vie) tolère « les poèmes en désert et les mots en jardin » qui poussent les poètes à s’enliser dans les chemins de blessures qui transcendent la feuille blanche.

Accord des on

Jean-Paul Gavard-Perret

Voici des instantanés matinaux venus à peine de la tête d’un esprit qui ne sait rien de l’heure. Mis au jour, ils viennent pendant le sommeil. Ils s’adressent au visible ou à son contraire. Leurs incongruences
sémantiques – sans chercher à quelque chose de linéaire – prolifèrent pour le plaisir. Elles appellent la protection du songe dans un regard de l’aube tout comme dès un crépuscule appesanti.


Auteur prodigieux s’exprimant avec la fluidité d’une respiration, Jean-Paul Gavard-Perret dévoile, avec « Accord des on » son huitième ouvrage, depuis deux ans de collaboration, sous les auspices des éditions Constellations. Son style atypique, dépourvu d’équivalent, déconcertant – pour ne pas dire sidérant dans sa plus pure expression littéraire – éveille l’imaginaire du lecteur et lui offre une porte entrebâillée, l’incitant à apporter sa propre contribution et interprétation selon l’humeur et la fantaisie de chacun.

Format 135 x 205 mm, 72 pages N&B