Cyril Boisnier, habitant d’Aubière, est enseignant à l’université de Clermont-Ferrand dans la filière des métiers de la culture. Il est l’auteur d’articles et d’ouvrages en urbanisme et aménagement. Il est aussi à l’origine d’un blog sur des voyages à vélo en France et à l’étranger (on peut d’ailleurs le rencontrer parfois dans la commune sur son deux-roues avec son fidèle chien Lucky).
Son dernier ouvrage paru en début de mois, Années pérégrines , est une invitation au voyage dans le mouvement de la lenteur et de la simplicité, de l’Oxfordshire anglais au cœur des chaînes du Caucase, de l’Inde du nord à l’Afrique…
Son écriture, à la frontière du récit, de l’essai et de la nouvelle, dévoile une introspection profonde où le voyage constitue un moyen de se retrouver sous un autre ciel, d’outrepasser les limites, de briser les barrières et surtout de se perdre pour mieux se trouver.
Années pérégrines est une invitation à emprunter les chemins sinueux de l’existence, à embrasser l’inconnu et à célébrer la beauté, le bonheur, l’oubli, généreusement dispersés sur la route.
Les mots en incipit de Proust — « Comme le bouquet qu’un voyageur nous envoie d’un pays où nous ne retournerons plus, faites-moi respirer du lointain de votre adolescence ces fleurs des printemps que j’ai traversés il y a bien des années. » indiquent par procuration les « Années pérégrines » sous forme d’un récit qui devient la quête continue de soi-même. Le tout en une succession de sensations, d’émotions, de réflexions et ce, de digressions en digressions par une prose poétique parfois volontairement neutre mais néanmoins incisive. La France y est décrite – en passant entre autres aux Alpes lors du Tour de France – mais s’y mêlent d’autres divagations foraines. Le tout pour reconstituer la trace de l’enfance puis le récit professionnel d’une vie.
Cyril Boisnier reste un voyageur qui fait abstraction des obstacles. en neuf chapitres. L’âme des paysages s’y exalte en cette itinérance bouleversée, fertilisée par la langue bourrée de descriptions, d’enthousiasmes et d’épanchement. Cela témoigne d’un besoin viscéral d’évasion nourri aussi par ses lectures (Verne par exemple) ou d’autres médiums. Tout se révèle « sous les houppiers » , sur la lumière toscane et bien d’autres lieux encore. Chacun des instants nous fascine. Là où le cinéma lui-même n’y est pas pour rien. Rites et coutumes se déploient au sein des descriptions. Chaque détail sort de partout grâce à la verve de l’auteur qui devient lui-même le monde. Il est capable de percer les insignifiances et les signes du néant.
Il aime les rencontres des hommes comme aussi « les troncs noueux et ridés des oliviers sauvages », les chênes, les minarets proches de figues de barbarie. Pour lectrices et lecteurs, il existe tant de festins car, pour ouvrir l’appétit, les mots ont à dire « un peu gominés » ou de poils noir rasés de près. Si bien que notre esprit se fait voyant et un air frais le rassérène. Le monde grouille de l’ancien et les guerres jusqu’à l’ère industrielle. C’est comme si la terre tremblait à la rencontre de tout ce qui nourrit l’histoire (parfois cruelle) en ce voyage initiatique par lequel — de L’inde, de Pologne jusqu’à Courchevel — le professionnel et auteur plénier a su tout visiter pour donner à chacun bien des invitations escomptées. Passionnant.
Nina Živančević, d’origine slave, propose un périple inoubliable à travers plusieurs pays et continents. D’un aéroport à l’autre et en divers entre temps où peuvent se partager de véritables sentiments d’Absolu, de Riyad à Cochin, de Keralayeem, pour entrer en méditation, à Alleppey dont le temple de Shiva propose de facto les rêves karmiques de l’auteure, se succèdent ensuite Keralayeem, Djeddah, Le Caire, Louxor , Assouan, Rome, Venise, Londres, Lima.
Les déplacements deviennent l’initiation d’une narration poétique, époustouflante. Richesses en descriptions de découvertes souvent ignorées, mais surtout puissances en réflexions mêlent l’éphémère des lieux et l’intemporel des âmes. Elles tissent un lien intime entre le passé, la mémoire et le rêve. L’auteure a su définir parfaitement son voyage extérieur et intérieur : « le seul paysage auquel j’appartenais vraiment, le pays où vivait ma véritable famille – celle des poètes, écrivains, philosophes et artistes. Et peu importe où je vis, du moment que ces personnes font directement ou indirectement partie de moi. ».
Les sages et leurs écrits (Védas en particulier) ont guidé son expérience transcendantale et géographique. Sa pensée (entre autres sur le “barbarogénie” que cherchèrent autant Micić que Henri Michaux) reste dépendante de tout esprit colonisateur. Michaux mais aussi Segalen et Artaud (sans oublier encore bien d’autres comme Moravia ou Pasolini) sont des modèles de fameux et précieux “barbares en Asie” et ailleurs, moins discutables que discutants.
L’observation de l’auteure dépasse les voyages imaginaires pour nous confronter à ce qui advient par le Multiple l’Un. Nina Živančević décrit dans sa gigantesque encyclopédie du savoir les croyants comme les divisés de partout, là où le sentiment d’altérité innerve cette écriture précise, élégante, précieuse et habitée. Elle se confronte à tout – même par sa culture jusqu’aux mangeurs des Dieux. Mais restent beaucoup plus de contemplatifs au sens de la spiritualité extrême — même si parfois, chez certains, elle se mêle à un suprême talent pour la comptabilité…
L’auteure garde le don de l’analyse et du jugement modulé dans sa langue, qu’elle a pu se bâtir de littératures multiples osant des avant-gardistes et aussi des textes de tradition hindi, musulmane, chinoise, confucéenne, japonaise et taoïste, et ailleurs. Œuvrant au « désembuage » comme à la « purification de l’esprit », elle est clairvoyante pour décrire le monde et la combinaison de ces mouvements dans toute l’histoire et les cultures de pays issus d’une compréhension mystique de la vie et de la croyance. Elle agrège des anecdotes où d’étranges habitudes se mirent et se mettent à souffler.
Tous lectrices et lecteurs sont unanimes envers une telle femme capable de brasser les idéologies des temps comme de la politique. Y apparaissent les femmes elles-mêmes. Devenant parfois victimes, avec un peu de chance elles se transforment en lionnes et sœurs vraies — faites de la réalité que l’auteure a habitée en ses périples, séjournant dans bien des chambres d’hôtel de diverses qualités. C’est rassurant avec une telle guide capable de créer un récit anthropomorphique étonnant.
Jean-Paul Gavard-Perret
Nina Živančević, Smrti (Ce dont on se souvient), traduit par Raphaël Baudrimont, 2024 – 20,00 € + 2 € frais de port.
Enfant de la balle à sa façon, Michèle Reich prouve dans chacun de ses sonnets un potentiel métaphorique complexe et puissant. Ils soulèvent entre autres de nombreuses questions au sujet de la féminité et de sa représentation. La créatrice met en évidence certes le strass mais aussi celles qui se cachent derrière.
La base de sa création est le corps avec ses morceaux de Lucifer et d’Ange. Aux lectrices et lecteurs d’apprécier l’espace de la rencontre. Et d’entrer en des flux d’existence. D’où la densité émotionnelle de l’œuvre qui joue des références culturelles, populaires. La poésie devient une activité qui montre ce dont le corps est plein sans en chasser l’esprit afin que Michèle Reich ne vive pas sans exister de leur dualité.
Avec de telles sonnets contemporains et savants, le spectateur ne sait plus forcément à quelle « sainte », « mère », « jouet », « figurine » se vouer. En effet, l’auteure mêle des juxtapositions insolites qui mettent au défi certaines attentes. S’y mêlent des éléments sombres et menaçants et d’autres plus en clarté et en charme. L’ensemble communique un sens perturbant et jouissif. Il a ainsi toujours un coup, un cran d’avance. Que demander de plus que cet envoûtement de matière et de genre ?
Nina Živančević, auteure d’origine slave, vous convie à un périple inoubliable à travers plusieurs pays et continents. Sa plume, imprégnée des cultures et de l’histoire des terres qu’elle arpente, tisse une narration poétique, mêlant subtilement scènes inattendues et réflexions profondes. En artiste de la mémoire, l’auteure aborde le monde avec l’insolence d’une surréaliste et la curiosité d’un anthropologue multilingue. Smrti révèle une autobiographie égalitaire et transformatrice dans son approche de l’altérité. Chaque chapitre devient une singularité esthétique, créant un lien intime entre la mémoire et le rêve, une exploration des méandres du passé. Živančević nous guide avec élégance dans « le seul paysage auquel j’appartenais vraiment, le pays où vivait ma véritable famille – celle des poètes, écrivains, philosophes et artistes. Et peu importe où je vis, du moment que ces personnes font directement ou indirectement partie de moi. » Ce livre est un périple littéraire où les frontières de l’éphémère s’effacent, révélant l’essence intemporelle de l’humanité.