Évohé ! Évohé !, Carmen Pennarun (par Parme Ceriset)

Une poésie à la fois profonde et fraîche, des mots « bulles-vert chlorophylle », des « arpèges sensitifs » qui font entrer le lecteur en résonance avec la nature, voici l’univers dans lequel on pénètre en lisant Évohé ! Évohé !, de Carmen Pennarun. Très proche du monde végétal, de la forêt et de « ses gardiens » qui « élèvent de jeunes pousses loin de la sauvagerie humaine », l’auteure se sent portée par une forme de « solidarité sylvestre ». Ainsi considère-t-elle les arbres comme des « témoins silencieux qui filtrent le défilé de la vie », et auxquels elle accorde « la confiance qu’on ne doit qu’aux grands maîtres ».

Et c’est sur les sentiers de la sagesse que la poète avance, partageant généreusement ses mots vecteurs de sérénité, d’acceptation : « Regarde tomber les fruits que tu n’as pas choisis, accepte tout sans rien trier ».

Elle sait que la patience est indispensable à celui ou celle qui est en quête d’apaisement : « Hier – une paix s’annonçait que demain attend toujours ».

Elle esquisse une temporalité nouvelle qui va « à contre-courant de l’agitation du monde » : « Laissons battre le non faire au rythme de rocaille de l’écho ».

Chez Carmen Pennarun, le silence est catalyseur d’inspiration poétique, en cela qu’il invite au recueillement en refoulant l’esprit « dans une grotte que même la salamandre dédaigne », ressuscitant les « pensées naufragées ». Il y a là une très belle allégorie poétique maritime qui se déroule lorsque l’auteure déploie la « grand’voile / sa toile de chair, sa vie », « faisant la planche », « arrimant » ses « mots et quelques peines », en attendant de trouver « un mirage – une statue de sel – en haut de la dune / au bout de sa langue de sable / où l’ange se serait endormi ».

La nature la protège dans ce périple, elle est sa confidente, son refuge, mais la descente est néanmoins « cruelle jusqu’à la mer et ses merveilles ». Celui ou celle qui rêve de découvrir « l’anse émeraude où dansent les fleurs-bateaux » devra le mériter.

Ce recueil est un joyau qui célèbre la valeur de l’Être et appelle à son épanouissement, à « l’éveil de toutes ses fibres », à la reconstruction psychique après des épreuves douloureuses : « Un poème s’est écrit sur les ruines de Noël ». Et pour guérir les âmes blessées, Carmen Pennarun fait appel au conte, à l’onirisme – « une fillette jaillit de la page » –, elle déploie, dans une étonnante respiration, ses « poèmes-marguerites dont la vie ne tient qu’à quelques troncs », offrant au lecteur une délicieuse sensation de bien-être, et inscrivant dans la mémoire du temps, ces « heures lentes où la beauté s’accomplit ».

Et c’est bien volontiers que nous partirons avec elle, demain encore, comme sa poésie nous y invite, « à la neige montante », « au hasard des métaphores », pour lancer « à la face des dieux » des « boules de rêves ».

Parme Ceriset

Carmen Pennarun vit en Bretagne et elle est membre de l’Association des Ecrivains de Bretagne. Elle a publié plusieurs recueils de poésie, dont : Nuit celte, land mer (éditions Stellamaris) ; Dans l’arc d’un regard de caryatide (éditions L’Amuse-loutre). Elle a également publié un recueil de nouvelles, et des textes dans de nombreuses revues de poésie.

J’ai connu les déserts et autres poèmes

Lynda Chouiten

Format 148 x 210 mm, 94 pages.

À l’abri du monde
Sur la petite île que je suis
Je jardine :
Je plante des fleurs
Et je sème des graines trouvées
Quelque part dans ma tête
Ou dans les livres des anciens
Sans jamais savoir si
Elles pousseront un jour
Et si j’en nourrirai
Les rares passants.

Ces quelques vers résument bien l’idée que se fait Lynda Chouiten de la poésie : quelques graines semées ça et là, dans l’espoir incertain d’en nourrir quelques belles âmes. C’est justement d’âme qu’il s’agit dans ce recueil : soixante textes qui sondent la complexité humaine, oscillant entre solitude et incompréhension d’une part et un sentiment de paix intérieure, voire de joie, d’autre part.

Bernard Poullain, pour éviter l’oubli

Retour de lecture de Daniel Malbranque

De la poésie on attend beauté, d’elle on attend illumination voire des éblouissements. Je n’aurai pas l’indécence d’utiliser de tels qualificatifs en parlant du livre de cris de Bernard Poullain : Il a neigé dur les baobabs que les éditions Constellations et Amalia Achard ont le courage de nous proposer.

Car la douleur, les souffrances, sont au-delà de la joliesse de ce que la poésie a coutume de mettre en avant. L’écriture de Bernard Poullain est suffisamment habitée par les drames de l’humanité qu’elle n’a pas besoin de fioritures. Au contraire elle va droit au cœur et réveille en nous tant d’indignations qu’elle fait son office salvateur. La poésie est là également pour dire. Et en premier lieu dans une longue laisse qui nous fait vivre au plus près les espoirs, les inquiétudes, les peurs, les désillusions, la misère en somme des hommes et des femmes qui un jour décident d’aller voir ailleurs si la vie est meilleure. Et c’est souvent le pire qui est au bout du chemin. L’auteur, dont la plume vibre d’émotion, par des mots de grande justesse nous entraîne en ce voyage vers la détresse.

Après ce récit qui remue l’âme, il enchaîne avec, hélas, la longue litanie des horreurs humaines. Hélas, parce qu’on suppose qu’elle n’est qu’un simple échantillon de toutes les ignominies. L’homme, selon l’adage bien connu, est un loup pour l’homme. Alors Bernard Poullain nous invite dans des textes de sublime déchirement à nous souvenir du mal qui est de tout temps et du mal qui est en tout lieu (boucheries de 14, l’effondrement des Twin Towers, le massacre du Bataclan, l’assassinat des membres de Charlie, Alep, l’Ukraine, etc.).

À titre d’exemple, j’évoquerai le drame de ce petit enfant, Ilyan, petit migrant retrouvé mort sur une plage en Italie, petit ange rejeté par la mer ogresse, mais surtout victime innocente de la cupidité des passeurs. L’auteur nous raconte son histoire avec une simplicité si déchirante. Écoutez-en l’épilogue : Oui ! Sa courte vie ne valait-elle pas, aux yeux du Dieu de ses pères, infiniment plus que celle de toute l’humanité ? Il n’a jamais haï, il a toujours aimé ! Il n’a pas connu ses bourreaux ni leurs complices. Car nous sommes tous un peu complices. Tout bourreau a besoin de comparses. Et les vagues, encore, le bercent, le caressent doucement. Il ne ressent plus rien. De quand date son dernier sourire ? Son dernier cri ? Chacun de nous a sans doute versé une larme : Et après ? Que restera-t-il de nos vaines vagues de remords ?

Au début de cette recension, je commençais par signifier que la poésie ne pouvait se résumer à un jeu qui n’aurait de but que la beauté. L’art de Bernard Poullain, si touchant, si nécessaire, le démontre à chaque page. Cependant, si c’est la qualité que l’on doit lui concéder, il n’en reste pas moins que son style de tendre humilité émerveille et emporte. On ne saurait le taire, Il a neigé sur les baobabs, avec ce titre magnifique et cette couverture splendide, est un recueil qui bouleverse. Et c’est heureux qu’une telle œuvre ait pu voir le jour car comme Bernard Poullain le précise, pensant aux malheureux qu’il évoque : Nul ne saura leur sort, alors je raconte / Pour qu’on pense à eux, qu’on prie pour eux.

Daniel Malbranque

La poésie est une femme – Josseline Chourry

Retour de lecture de Jean-Paul Gavard-Perret

L’Eve de Josseline Chourry est autant la première des femmes que celle des temps nouveaux. Elle est donc la primitive du futur. Elle devient tout autant cosmique en ses appels que charnelles en ses désirs.

Pour l’encenser, la poétesse invente des mondes mystérieux en une évocation subtile et ample. L’ambition de la poésie n’est plus de l’ordre du simple fantasme mais de la « connaissance ». Elle se veut de l’ordre de l’âme qui dans sa sagesse sait parfois guérir de tout.

Néanmoins le corps n’est pas absent en ses éruptions d’amour dont les flambeaux perforent la carapace humaine et ses carcans pour faire briller le sens d’une fusion qui ramène aux atomes premiers des harmonies avec le Tout.

Jean-Paul Gavard-Perret

https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/65899

Voix de feu

Si l’on en croit ses bio­graphes Car­men Pen­na­run pos­sède un secret, celui de la com­po­si­tion d’onguents et de tisanes, qui courbent les angoisses, les peines, les joies, par pointes de dou­ceur.
Mais elle ne s’arrête pas en si bon che­min et cherche l’harmonie dans la nature qui sou­vent — du moins encore pour le moment — trans­forme la vie en rose. Et pour preuve la poé­tesse d’ajouter : “toute l’agitation du monde ne chan­gera rien à ce qui demeure”.

En consé­quence, elle espère — et le prouve — que l’écriture dans son pou­voir d’incantation ouvre la porte au secret de la paix inté­rieure et laisse sor­tir sa voix trop sou­vent refou­lée. Ecrire doit donc res­ter un enchan­te­ment que la pré­sence de la nature accom­pagne. Y appa­raissent alors les hama­dryades — nymphes atta­chées aux arbres qu’elles habitent. Elles sou­tiennent  les pro­me­neuses et pro­me­neurs éga­rés dans leurs pen­sées. Il s’agit de les réveiller aux per­cep­tions des mer­veilles qui les entourent.

D’où leur cri “Évohé ! Évohé !” pour appe­ler à leur aide poètes et poé­tesses. Dès lors se reprend le pacte avec la poé­sie même si elle semble se reti­rer d’une époque qui la refuse, l’ignore, la raye  Elle reste le lien avec la liberté et devient appel à nos résis­tances dans ses gey­sers d’émotions.
En évo­quant une force de vie pre­mière, la poé­tesse  invite à l’abandon de la souf­france et à la réaf­fir­ma­tion de la confiance. Existe un appren­tis­sage de la sagesse face aux “construc­tions de paille” offertes au jeu des­truc­teur des indif­fé­rents que nous sommes.

C’est là un rapt, une féerie.

Jean-Paul Gavard-Perret

http://www.lelitteraire.com/?p=93199