
D’entre les larmes, l’innocence
Puisque les enfants sont de la fleur de chardon, la poésie en prose ou en vers devient douloureuse et « pansive ». Maria Postu en délivre, pour guérir de tout, une errance rare mais aussi son sommaire de l’existence. Parfois, dans la robe qu’elle revêt – celle de l’humilité plus que l’humanité – la poète sait que sa couleur est rouge.
Elle rappelle des morts politiques annoncées en son propre pays. Reste son voyage où elle porte son sac de ce qu’elle a subi. Mais, vers l’existence, entre conjugaison et conjuration, de son enfance jusqu’à aujourd’hui, cette rencontre de ce qu’elle a appris, par son écriture ailée et puissante, prolifère ou disparaît. Bref, le monde est vivant mais l’aube reste parfois plus morte que vivante.
Une telle exploration entre contes adjacents et réflexions profondes mêle biographie et “cantos” époustouflants. Maria Postu cherche à assommer les ténèbres dès sa mère dont elle entend encore ce qu’elle nomme « la face cachée du conteur », mais qui la rend vivante voire jusqu’à extrapoler une forme cosmique rêvée même si, ici, « la rose remplace la lune ». Elle sait que l’univers annonce le crépuscule.
De telles visions demeurent impressionnantes pour celle qui refuse d’appartenir à l’ombre, bien que l’on a voulu écraser ses mots et la chair des foules envahies dans une nouvelle forme de « Metropolis » et ses cloportes. Maria Postu a peu à peu compris, d’abord dans la demi conscience de l’enfance puis dans le réveil qui l’a sublimée.
Dans ce livre, tout avance. À l’ex nihilo répond une féconde présence révoltée qu’il fallut d’abord tenir et exister. L’auteure a dû lutter, parfois de manière terrible en des poèmes en prose aux évocations abasourdies par la perfection de son écriture. Elle met à mal le chaos du monde. Celle qui se sentait honteuse, quasi “aliénée” par les dangers, décrit ce qu’elle a vécu et qui elle est devenue.
Chacun est saisi dans ce qui tient de son tragique puis de son ouverture. C’est sans doute le mixage du conte et du vécu. Il donne une originalité confondante et géniale par la grâce de l’acuité visuelle et narrative (mais poétique) du langage imprégné de nostalgie. Moins béat que lucide afin d’un mûrissement, est distillé et instillé ce « manifeste pour l’innocence » que les deux traductrices soulignent. Tout commence de l’enfance puis est sublimé dans ce registre d’une incantation où le lyrisme se refuse aux prosopopées afin de mettre à nu le nerf de ce qui fut et de ce qui est métamorphosé de la nuit du monde à la lumière de l’être.
Jean-Paul Gavard-Perret
https://www.lelitteraire.com/?p=101283
Un poème « comme une métaphore de rechange à la fin du festin » (p 15) est-il un dessert ou une entrée à la table de Maria Postu ? Est-il le fruit d’une nostalgie lointaine seulement ou encore une nécessité d’exprimer une faim insatiable d’être en ce monde ?
Le style particulier de Maria surprend au premier abord, puis on est pénétré par lui, submergé par la profusion de son langage, imprégné de son environnement prosodique jusqu’à partager « le pain rassis et les figues sèches » (p 7). Alors, on entend la voix de la poétesse nous sustenter « derrière le rideau de velours, derrière les milliers de décors transformés les uns dans les autres / d’une pièce à l’autre » (p 8) puis on peut « se laisser porter par le son jusqu’à la scène / au milieu d’un décor inconnu » (p 9).
Maria Postu questionne le passé, l’enfance et tout ce qui s’inscrit sur la rétine de ses souvenirs … elle questionne même le néant ! Dans son « Voyage vers la vie », il y a « La face cachée du conteur », peut-être aussi « La mort à l’aube » … autant de titres perlés de phrases énigmatiques aux confins de l’hermétisme, mais qui restent néanmoins ardemment poétiques. A eux seuls, les titres font poème. La poétesse ne pose jamais réellement ses mots mais les suspend en vol, « la lumière de la rose remplace le livre » (p 14) et voici « des villes en chrysalide, des planètes en miniature » (p 16) que l’on emportent dans un incessant voyage en soi. Telle Cendrillon qui « s’est trompée de vocation en devenant dompteuses de tigres », Maria Postu vit des métamorphoses mais en chacune d’elles revient la femme qui est paradoxalement « cette femme qui n’est jamais revenue » tandis qu’elle cherchait « sa boucle d’oreille perdue en mer » (p 25). Que cachent ces mots ? – Si ce n’est la face immergée d’un iceberg qui recèle les mystères profonds de la psyché humaine !
Si « la boite aux lettres du ciel est pleine de lettres / non lues » (p 44), assurément ma bibliothèque poétique s’est enrichie des poèmes de Maria en ouvrant avec elle « la porte du paradis perdu » là où se cache notre âme d’enfant.
Indéfinissable, insaisissable, inclassable, la poésie de Maria Postu sort le lecteur de son confort, elle le malaxe d’incertitudes et de comparaisons, elle le déracine de son fauteuil, elle l’éparpille et le dissémine entre ses phrases surprenantes, « et quels poèmes survivraient à tant de variations de température dans nos cœurs ? » (p 43)
Il y a à la fois un côté shakespearien chez Maria Postu et l’âme d’une tragédienne grecque, ou encore le fragilité d’une bande son « comme dans un film rembobiné jusqu’à la rupture de la bande… » et puissions-nous dire comme elle « chaque jour, je me demande si mon année la plus heureuse est passée / ou si elle se profile à l’horizon » (p 51).
Son cri, ses angoisses et ses désarrois, sont aussi nôtres, enfouis profondément. Lorsqu’ils affleurent à la conscience, ils semblent surgir de nulle part dans un retour amer sur soi où toutes nostalgies a cependant la capacité de soulever des espoirs quand « les Juliette fatiguées dépoussièrent la dernière édition de Shakespeare » (p 32). Ce cri mouvant (comme la vie) tolère « les poèmes en désert et les mots en jardin » qui poussent les poètes à s’enliser dans les chemins de blessures qui transcendent la feuille blanche.
Josselyne Chourry