J’ai connu les déserts – Retour


Universitaire convertie à l’écriture romanesque, Lynda Chouiten inclut à son actif d’écrivaine de la quatrième génération deux romans : « Pôv cheveux » publié chez El Kalima et « Une valse » chez Casbah Éditions ainsi qu’un recueil de nouvelles « Des rêves à leur portée » publié chez le même éditeur.

Elle vient d’écrire un opus de 89 pages intitulé « J’ai connu les déserts et autres poèmes », édité en France aux éditions Constellations en 2003. Volontaire et talentueuse, Lynda Chouiten creuse son sillon dans le monde de l’édition, ce qui n’est pas toujours facile, comme tout écrivain qui débute en fait l’expérience. 

Suite à une prose bien maîtrisée dans ses deux romans qui attirèrent l’attention comme La valse qui reçut le Prix Assia Djebar en 2019. Ainsi, changer de genre littéraire, aller du roman vers la nouvelle pour s’essayer ensuite à la poésie risque d’être contre-productif pour la visibilité de l’écrivaine auprès de ses nouveaux lecteurs. J’ai connu les déserts… est un recueil de poèmes en vers libres. 

Composé de soixante poèmes, ce recueil donne vraiment à réfléchir, car il est traversé par une sorte de mélancolie avec un mélange de pessimisme et d’optimisme. Des sentiments exprimés qui révèlent beaucoup de l’autrice. Dans certains poèmes qui tutoient le politique, il me semble que la poétesse ne va pas toujours vers un engagement assumé. Mais cela relève de l’essence même de la poésie, celle d’être allusive par rapport à des questions sociologiques, voire politiques. 

Dans tous les cas, Lynda Chouiten excelle dans cet art de l’allusion, du non-dit, grâce à une grande maîtrise de la langue française, de ses subtilités et de l’art de la métaphore. 

En filigrane, ces soixante poèmes sont révélateurs de ce qui la préoccupe, l’angoisse, la hante même. Elle révèle aussi ce qui l’enchante. 

Mis à part quelques poèmes de composition où la poétesse joue avec les mots et les formules, voire avec des références littéraires, l’ensemble des poèmes prend sa source dans une grande sensibilité, avec pudeur et retenue, ce qui donne à mon sens plus de force à la poétique des vers publiés. Il est à noter que dans ce recueil, Lynda Chouiten rend hommage à la poétesse Amina Mekahli suite à son décès le 8 mai 2022. 

Dans ce poème en guise d’adieu les premiers vers décrivent parfaitement la poétesse disparue, sa sensibilité et sa personnalité hors du commun : 
 

«Ce sont ceux qui ne ressemblent qu’à eux-mêmes
Qui nous manquent le plus 
Quand vient l’heure d’emporter au loin
Son baluchon de souvenirs et de rêves.»

Une tristesse et un certain mal-être traversent ces poèmes. Cela transparaît dans les titres choisis qui en disent long sur l’état d’esprit de la poétesse comme J’ai traversé les désert, A l’abri du monde, Secrète, Tu aurais dû rester, Femme sans corps», Sans mémoire, Triste bonheur, Absence, Comment assassiner un poème, Noyade ou encore Un volcan s’est éteint. 

Force est de constater que ce sont des signaux révélateurs d’expériences de vie qui semblent difficiles dans J’ai connu les déserts avec leurs vastitudes arrogantes. 

Ce qui apparaît douloureux et qui s’exprime dans plusieurs poèmes, c’est le fait de se sentir étrangère dans un environnement qui change, comme dans ce vers qui dit une préoccupation latente et existentielle :
 

« Étrangère parmi vous, bien que vous soyez les miens

Comme je le suis ailleurs, sous des ciels moins bleus»

Et l’angoisse se lit aussi dans ce vers :

«Étrangère aussi dans ce corps que je ne reconnais plus
Et jusque dans ma tête capricieuse et changeante.
 Il y pleut tout le temps sous les nuages secs de Tizi »…
La force des mots et leur agencement marquent un territoire d’une écriture révélatrice d’un état qui fait mal à l’âme, un terme qui revient comme un leitmotive.  Ainsi, la poétesse dit grâce à la force des mots :
«J’ai fui ta tyrannie mon âme :

Loin de ton visage qui sourit peu» …

Ou encore : «Mon âme se dévêt». Elle évoque cette âme qui demeure un rempart qui la sauve comme dans ce poème :

« Je vends un peu de mon âme 
Aux diables qui m’entourent …
Je vends un peu de mon âme
Et m’achète un semblant de vie » …

Par ailleurs, sans être ouvertement féministe Lynda Chouiten crie la défense des femmes dans Femme sans corps  en leur conseillant :

«Enduisez-vous de plomb

Et construisez-vous une identité solide»…

Dans cette thématique, elle révèle dans un autre poème ce mal-être : «Ma tour d’ivoire n’a d’ivoire que le nom.» Avec délicatesse, elle dit qu’elle étire sa «jeunesse à l’infini» face au temps qui passe si vite. 
 A remarquer que Lynda Chouiten n’est pas sourde aux bruits du monde africain quand elle fait allusion à cette Méditerranée qui se transforme en cimetière : 

«Et ils s’en vont, l’un après l’autre, dans une file interminable
Dans des embarcations de fortune
Non pour saluer le monde
Mais pour étreindre la mort.»

Cela rappelle si fort le dernier tragique événement au large des côtes grecques. Je conclurai en affirmant que ce recueil de poésie relève de l’intime qui s’écrit avec une grande maîtrise du verbe et de la métaphore. «J’ai connu les déserts et autres poèmes» mérite le détour, car y sont livrés des poèmes à lire et à relire.

Benaouda Lebdai ,  Professeur des universités

https://elwatan-dz.com/chronique-litteraire-de-benaouda-lebdai-lynda-chouiten-ou-lame-en-peine?fbclid=IwAR1VBfRtymlEUf3-6rwoTZrb83qRWrqvm1Qhh05z0HHyau_Sba6qgBrGYho


La poésie, cette quête de l’ineffable, n’arrête pas de rebondir au moment précis où l’on se dit, elle n’a plus sa place dans l’expression humaine. Elle est décriée, ostracisée, abandonnée, mise au rebut de la lecture, mise au ban du Beau et rendue obsolète par une pensée réduite à la seule consommation, sans projection du verbe. Pourtant, elle tient tête aux vents contraires, s’accroche de toute sa vaillance, dément les avis les plus défavorables et diffère sa finitude à plus tard. Elle est là, têtue et téméraire, à dire sa (dé)raison, pour permettre aux utilisateurs de quêter la quintessence du mot dans l’infini du dire.

Lynda Chouiten m’a offert gentiment sa dernière production ; il s’agit en l’occurrence de poésie. Elle a pris le temps nécessaire à la création poétique, malgré le fait (encore une fois) que ce mode d’expression ne fait pas recette. J’ai été doublement content ; d’abord parce qu’il s’agit justement de poésie, ensuite parce qu’il faut du courage pour tenter l’édition, sachant que cette dernière n’a pas les faveurs du lectorat. Je me suis laissé guider par elle dans les dédales de ses cris, de ses espoirs, de ses rêves, de ses révoltes (c’est souvent le cas), de ses volontés à s’affranchir de toutes sortes d’écueils. J’en suis revenu la tête pleine d’images et de sollicitations à m’arrêter derrière chaque poème. Rien que pour cela, je dis merci à Lynda Chouiten de m’avoir permis de passer le seuil de ses attentes existentielles.

Lynda Chouiten a déjà goûté à la fièvre de l’édition avec coup sur coup deux romans, qui ont pris d’autorité leur place parmi les lecteurs ; Le roman des pôvres cheveux, éd. El Kalima et La valse , éd. Casbah, ont montré une auteure maîtrisant le style romanesque, montrant des capacités à construire un scénario (un roman) et proposant une thématique nouvelle. Après son recueil de nouvelles, éd. Casbah, Des rêves à leur portée, Chouiten – une touche-à-tout — montre son penchant pour la poésie, se révèle être en mesure de soutenir le rythme et le souffle du poème avec talent, et propose également d’esquisser une ouverture timide dans son monde intérieur ; car elle a encore beaucoup de choses à (nous) dire. J’ai connu les déserts et autres poèmes, éd. Constellations, 2023, est un recueil de poésie écrite avec beaucoup de douceur et de spontanéité, sans aller jusqu’à l’agitation inutile qui étreint parfois le poète ; s’agissant d’une écriture féminine, il est loisible que Chouiten pouvait être tentée de régler des comptes avec une société, qui n’arrive pas encore à être impartiale ; comme elle s’estime en phase avec elle-même, c’est-à-dire un partenaire pouvant (se) prendre en charge ses émotions d’abord, ensuite, ses rêves et autres ambitions. Laissons dire Lynda Chouiten : «Alors je me hâte de cacher la clé / Là où je ne peux pas la retrouver / Tout en me convainquant que ma tour est bien faite d’ivoire/Que ses murs ne sont pas fissurés / Qu’elle ne sent pas le moisi / Que ses chauves-souris ne m’effraient pas / Et que je me plais dans sa majesté désuète.» (p.43)

Ce que j’ai remarqué en premier chez Lynda Chouiten, c’est d’abord cette assurance mesurée de maîtriser son sujet poétique, de croire en son destin de celle qui a le don de proposer tout un monde à découvrir, et, surtout, de ne jamais douter de cette force intérieure, qui permet au poète de (dé)montrer à tous qu’elle est encore utile, présente et affirmant ses propos. Il y a une certaine aisance à monter, fignoler, peser le poème et l’offrir, d’abord, au silence de la page brouillon, ensuite, au regard de soi, puis de celui d’autrui. Je ne sais pas comment expliquer cela, mais, j’ai ressenti une assurance tranquille, lors de ma lecture de cette somme de poésie, affichée par le poète le long de son écriture. Le poème coule de source. À croire qu’il n’y a aucune anicroche qui vient perturber le poème. Je crois que c’est là la force de Lynda Chouiten, cette aisance à maîtriser le verbe, sans tourment quelconque, tout le temps qu’elle se trouve face à la page blanche. N’y a-t-il pas ce vertige qui touche les poètes, chez elle ? Justement, non ; elle maîtrise de bout en bout son sujet. Le seul code dont elle use, dans J’ai connu les déserts et autres poèmes, reste précisément cette facilité dans le vocabulaire, la conception du texte et sa clarté. Laissons dire Lynda Chouiten : «Un jour j’irai en Islande / Et loin de toi, mon pays / J’oublierai la chaleur / De ton soleil et de tes gens / Et me demanderai si c’est son intensité / Qui fait tout pourrir, même les cœurs les plus purs / Et tout fondre, même le fer de notre détermination / Puis l’accueil froid des glaciers / Me fera sourire, et j’y penserai plus / Je marcherai, grelottante et éblouie / Dans ses déserts silencieux / Si différent du nôtre / Je courrai vers les volcans, trop longtemps contenue / À la leur / Et quand naîtront les geysers / J’y reconnaîtrai mes frères / Et je les imiterai / Alors dans la lourdeur blanche de l’hiver / Je me sentirai moins seule / Et plus légère encore.» (p. 77)

Le désert dans la poésie de Lynda Chouiten n’est pas matériel, ni intellectuel ; il se situe plutôt dans une sensation désagréable de se sentir «désertique» de l’intérieur ; est-il ressenti d’une certaine solitude surpeuplée ? Ou est-ce une certaine faim assumée d’aller vers l’Autre, sans recevoir en contrepartie la reconnaissance attendue ? À moins que l’auteure, ici, veut tout simplement bâtir un rempart poétique entre elle (l’intime) et l’extérieur («l’extime»). Il y a naturellement cette propension à tenter le poème pour exorciser cette «chose» que Lynda Chouiten ne nomme pas, comme «ces cailloux» (Eluard) qui pèsent sur le ventre. Il est vrai qu’elle n’est qu’à ses débuts. Je reste tout de même sûr, l’auteure saura plus tard proposer une palette de voies, à même de tenter une esquisse de lecture de sa poésie. Il y a, c’est vrai, un peu le mal de vivre dans ses poèmes ; mais, il y a également cette attitude résolue d’affronter toute adversité. Je comprends son assurance, quand bien même elle intitule son recueil, J’ai connu les déserts, et autres poèmes. Une fois le désert défini, selon l’orientation voulue par Lynda Chouiten, je crois qu’il serait possible, dès lors, d’aller à la rencontre de sa poésie sereinement. Et c’est ainsi qu’on pourra saisir quelques fêlures, des cris sans violence, une protestation avenante et une main tendue, large comme son espoir.
La fluidité dans les poèmes de Lynda Chouiten rend la lecture de ce recueil très agréable. Je crois pouvoir dire que c’est là une force principale dans l’écriture de cette auteure, avec bien sûr, sa maîtrise de la langue et sa manière de poser la thématique choisie. Après deux romans et un recueil de nouvelles, fortement appréciés, Chouiten propose une autre facette de son art, la poésie. C’est ce qui fait sa force et ce qui peut lui faciliter, plus tard, la proposition d’une œuvre ; celle-ci, à l’image des prédécesseurs, pourra (doit) être une voie singulière dans la littérature algérienne. Je laisse Lynda Chouiten clore cet espace de parole : «De quelle douleur me parlez-vous ? / De celle de devenir étrangère / Sur cette terre qui m’a vu naître / Après avoir vu naître mes parents / Et leurs parents ? / De celle de rêver en regardant/ Les oiseaux et les bateaux / En repensant à Joyce / Qui a quitté l’Irlande / Sans qu’elle ne le quitte jamais / Et au mythe d’Icare / Qui a fui le Minotaure / Et son triste labyrinthe / Et dont le rêve fou/D’étreindre le soleil / L’a fait, à tout jamais / Prisonnier des vagues.»(p.83)

Youcef Merahi

https://www.lesoirdalgerie.com/tendances/lynda-chouiten-poesie-a-fleur-de-peau-77635?fbclid=IwAR0HL527ICr4syIF9DYcFPb7QZTKLOjFMZ5aXuGUP1466XLm2FBVZfFPaw8


Il y a des poèmes dans lesquels on entre à pas feutrés, de peur de troubler leur intimité. Il y a des écrits à huis clos qui brassent des angoisses en voilant leurs larmes par pudeur et des rêves que le temps a suspendu loin des regards dans « Une seule grande chambre / Peinte en noir et blanc / Avec beaucoup de miroirs » (p. 33) qui nous mènent sur l’échiquier de l’existence où l’autre nous ressemble au plus profond de nous-mêmes.
Soudain, au détour d’un poème, on décèle un rayon de soleil à demi-teinte, à demi-mot, et voici une porte à cœur ouvert « A l’abri du monde… », là où Linda Chouiten jardine, plante et sème ses émotions «sans jamais savoir si / Elles poussent un jour» (p. 17) – Alors, elle erre de poème en poème et nous interroge :
« Vous voudriez que je sois un clair de lune
Vous voudriez que je sois une bougie
Vous voudriez que je sois un éclair » (p. 18 et 19)
La poésie n’est-elle pas déjà cette quête de lumière à travers le langage, n’est-elle pas « Une grande bougie qui éclaire / Nos longues nuits d’hiver » ? L’éclair n’est-il pas là « Pour nous rappeler que la pluie / Sourit alors même qu’elle gronde » ?
Les déserts de Lynda Chouiten sont parsemés d’oasis inspirées, teintées de « Triste bonheur », abreuvées des paradoxes de « Nos esprits tourmentés » ; titres évocateurs à eux seuls !
Au fil du voyage poétique, on espère que la poétesse s’apaise et devienne compagne de voyage, que son « cœur en crue » déborde les pages et que, de fil en poèmes, elle fasse fleurir ses déserts et continue dans le silence du livre fermé à nous parler d’âme à âme.

Josselyne Chourry