Contredanses macabres – Retour


Patrick Devaux

Patryck Froissart fait parler un « Dieu-Verbe » suggérant une « démarche de salubrité mentale ». Son ton me rappelle un peu celui du poète Jacques Demaude qui était lui un croyant alors que Patryck s’en prend plutôt aux « dieux inouïs ».
Entre ses mots gronde une sourde colère : « Sang innocent sourd de l’écran/L’insane atteint l’ultime cran/Le feu le froid l’affre la guerre/ Il y a tant et tant à faire ».
En parallèle le poète pose régulièrement la question inhérente aux rêves enfouis : « Ô Mère où sont les fées les sylvains les follets ? Où se sont envolés les elfes désolés ? ».
Nul constat sans intention : « Dans tous les cahiers d’écoliers/ Démystifions les médaillés ». Pas un mot de trop ; tout est pesé en prônant parfois la pureté des origines : « J’aspire aux errements des déserts impubères/ Aux vierges vibrations des oasis berbères ».
Cette poésie s’affirme entre prise de conscience, pause salutaire et émerveillement presque malgré le monde tel qu’il est : « Vrai ! le regard me plaît de l’horizon qui dort/ De l’anse bleue qui baille et du lagon tranquille/ Au pied du morne sage assis sur la presqu’île/ Haut gardien des gréements flegmatiques du port ».
Le balancement entre l’espérance et la prise de conscience tragique est presque omniprésent. Une poésie franche, honnête et efficace quand le poète s’engage humainement avec une certaine provocation qui m’a parfois fait penser à Villon : « Par le vitrail coule la treille/ Au long de l’or de rais obliques/ Directement dans nos calices/ A gorge grand ouverte ô divine bouteille/Ballonnons vite nos barriques/ Au point qu’explosent nos varices/ Buvons/ C’est le sang du saigneur ».
Très certainement un des meilleurs recueils de ce poète qui ne mâche pas ses mots : « Espèce suicidaire/Accélère accélère/Ton passage éphémère/N’est-il plus un trouvère/ Hostile aux chants de guerre ? »
A sa façon cette poésie me rappelle également les « ténébreux lucides » comme Germain Nouveau.
Du grand art pour dire, dénoncer et, bien sûr, se révolter tout en faisant preuve d’une esthétique enthousiasmante :
« La beauté rare se médite/ Je veux en moi la ressasser » nous dit l’auteur.
Profitez donc de cette beauté sans doute moins éphémère que notre côté charnel : « De leur vase les vers gourmandement m’observent/ Il ne me déplaît pas qu’à déjeuner je serve » confirmant ainsi cette idée que, pour le poète, jusqu’à l’aboutissement de ce qu’il dit, dira, son seul temple « est dans la nature » et que « tout le reste est littérature ».

Patrick Devaux, rédacteur en chef de la revue Reflets de Wallonie-Bruxelles pour l’AREAW



Jean-Paul Gavard-Perret

Cantos macabres

Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné en France métropolitaine, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, est devenu inspecteur de l’Education nationale, puis proviseur. Il a dirigé plusieurs établissements à la Réunion et à Maurice. Maintenant retraité, il se consacre à l’écriture même s’il a déjà publié des livres remarqués dont Le dromadaire et la salangane au Canada et Li Ann ou Le tropique des Chimères aux éditions Maurice Nadeau.

Ce nouveau livre est un paradoxe. Et il devient le chant des chants. Cela peut surprendre pour de multiples raisons. D’abord, le monde va mal. Il est régi par des monstres et des imposteurs dont les sujets emboitent leurs pas quitte à exterminer une partie de leur propre espèce humaine (qu’on se souvienne du maoïsme, la plus illustre tragédie). L’auteur ajoute une double seconde couche : l’homme n’est pas bon, et dieu plus que douteux. Froissart voulait le regarder en face, mais faute d’existence il s’est créé le sien. Et ce, prouvant de facto que tout Dieu est une fabrication humaine mais l’auteur fait plus et mieux. Il l’a remplacé par sa propre poésie. Dès lors, face à l’Etre Suprême, son propre verbe s’incarne.

L’auteur est toutefois un modeste. Selon lui, écrire, précise-t-il, « Je l’ai fait poétiquement, en usant, en abusant, certains diront en mésusant du Verbe, se moquant des formes classiques du genre ». De fait, il reste un écrivain qui mérite cet adjectif. Il prétend faire à la va-comme-je pousse mais sachant que, le verbe, « nous sommes tous en train de nous le pourrir, de nous le massacrer », sa démarche reste la plus lyrique, incantatoire dans ce qu’il revendique : « salubrité mentale ». Son livre montre que l’Histoire est le produit le plus dangereux qu’une forme de chimie intellectuelle produit : elle fait rêver, enivre les peuples, entretient leurs vieilles plaies, conduit parfois au délire des grandeurs ou de la persécution.

Néo-Baudelairien face au globe qui tournique au fond de tels abysses, l’auteur devient par sa langue le destructeur de nos temples et leurs changements d’échelle. Par exemple, en un bijou d’éloquence Froissart réduit « le ponte ventripote omnipotent et tripote / nigaude la cocotte à son joug son joujou / la fourrant d’ordes arrhes ainsi soit-il / nanti du plein droit de cuisser à bon gré / l’étoilette appétant la gloriette ». Voici, transformé par de tels mots, l’art de celui qui contient « L’effluve voluptueux du meurtre» dont « Ses artères enflées grossissent les ruisseaux de sang » et accompagné de « Pareils (…) araignées qui tissent là où des corbeaux criards affluent pour la curée L’enfance inachevée ».

Face aux charniers et pour la vie, Patryck Froissart rêve d’harmonie profonde. Dans ce cas, son verbe rimé et métrique reste libre et sa pensée féconde. Il cherche ici à embrasser la totalité du tout face aux contredanses ou celles, plus macabres, qu’il drape de pans immenses d’un verbe en colonnes évanescentes pour souligner le chaos, ses monstres et leurs palabres. Dans un tel livre, le ciel prend des airs de fête noire et de fantômes psychotiques. Mais un autre monde s’offre parfois au-dessus de nos yeux.

Dans ce but, l’auteur déverrouille ses mâchoires pour pousser son langage face aux canyons et abîmes de l’obscurité. C’est comme si – depuis les temps premiers où les hommes ont fait société – les inventeurs de Dieu avaient tiré sur eux les couvertures de leur majesté et de leur omnipotence. Alors, face aux sbires, l’auteur est là pour nous secouer : hommes, réagissez ! Voici ici un chant profond d’une aussi rare intensité.



Jean-Paul Gavard-Perret

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