Chronique de Carmen Pennarun
« Existe donc une zone dans la tête qui ne peut être atteinte que par l’oubli, sans savoir lequel mais qui dénonce l’en-soi. C’est la région humaine. Rien pour l’arpenter sinon ce qui reste ici. »
Le territoire de l’oubli. L’inconscient. La mémoire. Les fouilles. Le corps. Tel est le lexique qui me vient à l’esprit après lecture de ce recueil. L’exploration de la parole ne peut être en lien qu’avec le corps puisque l’origine de notre vie a précédé notre parole. Le travail d’ archéologie qu’est l’œuvre d’écriture ne peut donc passer que par le terrain de la chair, c’est pourquoi l’auteur bouscule les mots afin de saisir toute la complexité de la vie – celle qui intègre aussi sa finalité, la mort.
Il devient impensable de séparer corps, langage et petites-morts, dont les répétitions sont comme autant de ratures, de feuilles déchirées par l’écrivain. Le langage, s’il veut révéler l’être dans son authenticité, doit être brisé, se perdre… avant de tomber dans l’oubli, de retourner au silence (étouffé par l’inexorable « en » taire).
Par l’exercice d’écriture, le narrateur souhaite atteindre les rivages de l’origine de la vie, c’est sans doute pour cela qu’il essaie de réduire l’espace entre les mots en rapprochant les corps.
Par cette exploration du vide, parviendra-t-il à atteindre l’unité ? Par le rapprochement des corps, peut-on espérer ressentir le grain de peau de la lumière ? Pourquoi ce rapprochement est-il si récurrent ? «C’est comme si nous avions perdu quelque chose au large », nous dit l’auteur. Nous sommes les héritiers d’une histoire qui remonte à notre séjour au Jardin d’Eden, où l’acte créateur (de vie) était interdit à l’homme, seulement permis à Dieu.
Peut-on reconquérir ce droit, par la création d’une écriture singulière qui exige de remettre son ouvrage chaque jour sur le métier afin de mener toujours plus finement l’ exploration du verbe… une exploration qui pourrait nous mener à l’extase !
Sade, en son temps, n’aurait jamais admis que sa pensée ait pu le trahir. La pensée de ses pairs n’était pas assez évolue pour le comprendre, lui.
Chercher le lieu de la parole enfouie en soi pour l’être écrivant, ne peut se faire que par le liant (la métaphore) de l’expérience d’amour, ainsi la parole a une chance de revenir « aux bords de mères », à moins que, tout comme le retour au jardin d’Eden, l’espoir d’une écriture novatrice ne soit vouée qu’à l’échec. Le rêve est permis de voir le « mot dit dépasser du lit du fleuve amour ».
Ce recueil offre une écriture imagée, déroutante par moments, réjouissante là où on ne l’attend pas, heureuse au final. L’écriture est une sacrée aventure dont le résultat échappe à notre imagination, car il nous est juste donné de la travailler au corps.
Carmen Pennarun