À l’abri du monde Sur la petite île que je suis Je jardine : Je plante des fleurs Et je sème des graines trouvées Quelque part dans ma tête Ou dans les livres des anciens Sans jamais savoir si Elles pousseront un jour Et si j’en nourrirai Les rares passants.
Ces quelques vers résument bien l’idée que se fait Lynda Chouiten de la poésie : quelques graines semées ça et là, dans l’espoir incertain d’en nourrir quelques belles âmes. C’est justement d’âme qu’il s’agit dans ce recueil : soixante textes qui sondent la complexité humaine, oscillant entre solitude et incompréhension d’une part et un sentiment de paix intérieure, voire de joie, d’autre part.
De la poésie on attend beauté, d’elle on attend illumination voire des éblouissements. Je n’aurai pas l’indécence d’utiliser de tels qualificatifs en parlant du livre de cris de Bernard Poullain : Il a neigé dur les baobabs que les éditions Constellations et Amalia Achard ont le courage de nous proposer.
Car la douleur, les souffrances, sont au-delà de la joliesse de ce que la poésie a coutume de mettre en avant. L’écriture de Bernard Poullain est suffisamment habitée par les drames de l’humanité qu’elle n’a pas besoin de fioritures. Au contraire elle va droit au cœur et réveille en nous tant d’indignations qu’elle fait son office salvateur. La poésie est là également pour dire. Et en premier lieu dans une longue laisse qui nous fait vivre au plus près les espoirs, les inquiétudes, les peurs, les désillusions, la misère en somme des hommes et des femmes qui un jour décident d’aller voir ailleurs si la vie est meilleure. Et c’est souvent le pire qui est au bout du chemin. L’auteur, dont la plume vibre d’émotion, par des mots de grande justesse nous entraîne en ce voyage vers la détresse.
Après ce récit qui remue l’âme, il enchaîne avec, hélas, la longue litanie des horreurs humaines. Hélas, parce qu’on suppose qu’elle n’est qu’un simple échantillon de toutes les ignominies. L’homme, selon l’adage bien connu, est un loup pour l’homme. Alors Bernard Poullain nous invite dans des textes de sublime déchirement à nous souvenir du mal qui est de tout temps et du mal qui est en tout lieu (boucheries de 14, l’effondrement des Twin Towers, le massacre du Bataclan, l’assassinat des membres de Charlie, Alep, l’Ukraine, etc.).
À titre d’exemple, j’évoquerai le drame de ce petit enfant, Ilyan, petit migrant retrouvé mort sur une plage en Italie, petit ange rejeté par la mer ogresse, mais surtout victime innocente de la cupidité des passeurs. L’auteur nous raconte son histoire avec une simplicité si déchirante. Écoutez-en l’épilogue : Oui ! Sa courte vie ne valait-elle pas, aux yeux du Dieu de ses pères, infiniment plus que celle de toute l’humanité ? Il n’a jamais haï, il a toujours aimé ! Il n’a pas connu ses bourreaux ni leurs complices. Car nous sommes tous un peu complices. Tout bourreau a besoin de comparses. Et les vagues, encore, le bercent, le caressent doucement. Il ne ressent plus rien. De quand date son dernier sourire ? Son dernier cri ? Chacun de nous a sans doute versé une larme : Et après ? Que restera-t-il de nos vaines vagues de remords ?
Au début de cette recension, je commençais par signifier que la poésie ne pouvait se résumer à un jeu qui n’aurait de but que la beauté. L’art de Bernard Poullain, si touchant, si nécessaire, le démontre à chaque page. Cependant, si c’est la qualité que l’on doit lui concéder, il n’en reste pas moins que son style de tendre humilité émerveille et emporte. On ne saurait le taire, Il a neigé sur les baobabs, avec ce titre magnifique et cette couverture splendide, est un recueil qui bouleverse. Et c’est heureux qu’une telle œuvre ait pu voir le jour car comme Bernard Poullain le précise, pensant aux malheureux qu’il évoque : Nul ne saura leur sort, alors je raconte / Pour qu’on pense à eux, qu’on prie pour eux.
L’Eve de Josseline Chourry est autant la première des femmes que celle des temps nouveaux. Elle est donc la primitive du futur. Elle devient tout autant cosmique en ses appels que charnelles en ses désirs.
Pour l’encenser, la poétesse invente des mondes mystérieux en une évocation subtile et ample. L’ambition de la poésie n’est plus de l’ordre du simple fantasme mais de la « connaissance ». Elle se veut de l’ordre de l’âme qui dans sa sagesse sait parfois guérir de tout.
Néanmoins le corps n’est pas absent en ses éruptions d’amour dont les flambeaux perforent la carapace humaine et ses carcans pour faire briller le sens d’une fusion qui ramène aux atomes premiers des harmonies avec le Tout.
Si l’on en croit ses biographes Carmen Pennarun possède un secret, celui de la composition d’onguents et de tisanes, qui courbent les angoisses, les peines, les joies, par pointes de douceur. Mais elle ne s’arrête pas en si bon chemin et cherche l’harmonie dans la nature qui souvent — du moins encore pour le moment — transforme la vie en rose. Et pour preuve la poétesse d’ajouter : “toute l’agitation du monde ne changera rien à ce qui demeure”.
En conséquence, elle espère — et le prouve — que l’écriture dans son pouvoir d’incantation ouvre la porte au secret de la paix intérieure et laisse sortir sa voix trop souvent refoulée. Ecrire doit donc rester un enchantement que la présence de la nature accompagne. Y apparaissent alors les hamadryades — nymphes attachées aux arbres qu’elles habitent. Elles soutiennent les promeneuses et promeneurs égarés dans leurs pensées. Il s’agit de les réveiller aux perceptions des merveilles qui les entourent.
D’où leur cri “Évohé ! Évohé !” pour appeler à leur aide poètes et poétesses. Dès lors se reprend le pacte avec la poésie même si elle semble se retirer d’une époque qui la refuse, l’ignore, la raye Elle reste le lien avec la liberté et devient appel à nos résistances dans ses geysers d’émotions. En évoquant une force de vie première, la poétesse invite à l’abandon de la souffrance et à la réaffirmation de la confiance. Existe un apprentissage de la sagesse face aux “constructions de paille” offertes au jeu destructeur des indifférents que nous sommes.
Ici des histoires se poursuivent à l’eau de rosse et au parfum de barbecue pour que nous apprenions un peu de quoi sont fait les hommes et combien ils nous ressemblent dans leurs divers passés. Nous connaissons ainsi ce qu’ils pensaient (et leurs compagnes aussi) jusqu’à parfois nous toucher en laissant autour d’eux ce vide où ils n’ont pas plus de place que dans un tiroir, sur une étagère ou au fond d’une poche ou d’un sac. Comme eux, nous n’avons que peu d’ici. C’est comme si nous avons perdu quelque chose au large. Mais sans savoir quoi.