Chronique d’Annie Forest-Abou Mansour dédiée au recueil « Évohé! Évohé! » de Carmen Pennarun
Un jour, « une hamadryade (…) a soufflé » à Carmen Pennarun, « des mots de sève que son chêne lui a(vait) transmis ». La poétesse pénétra alors les arcanes de la nature : « la nature – un sanctuaire / à ciel et murs ouverts ». Dans l’immensité de ce temple sacré, qui face à l’éphémère échappe au temps, où seuls quelques initiés entrent intimement (« n’y pénètre que celui / qui en lui trouve la clé »), elle perçoit l’univers dans toute sa réalité sensible, l’appréhende par les sensations et les émotions, accédant ainsi à l’essence des choses. « Evohé ! Evohé ! », la poétesse, enthousiaste, dans l’exubérance de la sève vivifiante, interpelle la nature et la célèbre en inventant « des sonorités nouvelles, des mots bulle – vert chlorophylle, des gestes azurés (…) », entrant en osmose avec elle. La nature et la poésie se tissent alors harmonieusement, se révélant l’une et l’autre dans des échanges de champs lexicaux, « Ma poésie marche sur la tête / dans une clairière vide d’étoiles / où le temps se confond en désert / Le sel de la parole dissout la feuille / les tiges des mots ne lèvent rien (…) », dans une contamination féerique des mots soufflés par le cosmos.
Une perception synesthésique du monde
Dans Evohé ! Evohé ! Carmen Pennarun fait communiquer le visible et l’invisible dans des paysages où se confondent le rêve et la réalité, où se tressent le concret et l’abstrait : « forger des rêves sur l’enclume de l’existence », « l’écorce de l’âme ». La femme-fleur, métaphore de la féminité et de la nature, dessinée par Killian Pennarun sur la première de couverture du recueil révèle l’imaginaire de la poétesse. Cette hamadryade – lascive, nonchalante et altière, le front ceint d’un diadème rehaussé de pierres précieuses, soutenu en son centre par des ramures de cervidé, étale le camaïeu parme de ses voiles dénoués, découvrant son corps à moitié dénudé, une frondaison légère sur ses jambes entrouvertes, appel à l’amour, à la Beauté, à la vie -, nourrit d’emblée la rêverie esthétique, embarque dans un voyage onirique et lyrique. Elle annonce l’univers fascinant des poèmes de Carmen Pennarun, entrecroisement de la terre et du ciel, de l’eau et de l’air, (« Prendre la fleur / par ses racines aériennes / devenir oiseau / aquatique »), de la froidure et de la brûlure, (« Mes souhaits sont des flocons, ils fondent / sur mon âme incandescente (…) »), des sons et des couleurs (« sa musique / noire ou blanche », « le son bleu »), dans une nature où germe et s’épanouit la vie porteuse d’espoir («demain est un autre jour / Aujourd’hui est en germe / la fleur du lendemain/ prends-en soin // Imagine toutes ces graines / de promesse de vie / elles bougent / au rythme de la terre ») où règne l’amour, « Pénétrer la lumière / d’un accord dense / ainsi s’harmonise /à l’ange notre part humaine // un temps venue / aimer sur Terre », où l’âme retrouve sa place primordiale, « Ramenons en douceur notre âme au centre du moi / sans mièvrerie, sans orgueil – là est sa place », et élève vers la lumière : « Dans ce haut lieu de notre vigilante présence / nous rétablissons la lumière dans la demeure que le vide gagnait ». L’âme, la conscience et le corps en harmonie, « Habite ton corps, clair sera ton souffle / Habitue ton corps, juste sera ta parole / et tes pensées comme les pattes de l’araignée / seront au service de ton être tout entier » entrent dans la plénitude de l’expérience physique et mystique et dans une sensibilité religieuse ténue. La narratrice fait souvent appel à un lexique religieux dans ses textes (« chapelle », « âme », « voix de l’ange », « la foi », « mes prières », « La nativité est une fleur qui s’avance sans bruit / laissant l’étoile mener les âmes jusqu’au refuge où luit l’amour », «purgatoire », « Dieu »… ), les teintant de la sorte en filigrane de religiosité, de force sacrée et de mysticisme panthéiste. Dieu est partout invisible mais présent,« et Dieu se perd dans le paysage », incorporé à la nature.
Une poétesse traversée par la nature
La poétesse, profondément ancrée dans le monde végétal, traversée par sa puissance et son esthétique (« N’oublie pas que la terre chante / et que son chant passant / par tes pieds te traverse ») dit toute forme de Vie, don fragile et précieux, (« Pense / la vie comme un don ») dans une volonté de protection, « loin de la sauvagerie humaine », « de la fourmilière humaine », afin que l’Amour souligné par un oxymore (« Terriens, à vos carquois / préparez vos flèches / détournez ces oiseaux / de mauvais augure / en les touchant / du venin de l’amour »), la Beauté, la Lumière (« Lumière, redresse-les et que dans l’Arche / brillent toutes les existences telles lampyres ! »), la poésie, triomphent, consolations aux différents maux de l’existence : « Accorde-toi – quand / vient la tristesse – un temps de recréation / tout en guirlandes et éphémères dentelles ». Dans une poésie lyrique tout à la fois charnelle et éthérée, Carmen Pennarun embarque le lecteur dans une Bretagne réelle (« Moho », « Gwin-Zégal ») et onirique où des fleurs personnifiées dialoguent avec les poètes (« Parfois, les marguerites / dans leur écrin de granit / rose ont échangé des mots / à marée basse avec les poètes « ), où des bateaux rêveurs songent à de fantastiques ailleurs : « A mer haute, les bateaux / rêvent de traversées fantastiques ». Carmen Pennarun voit et entend les messages de la nature, son appel irrépressible dans une perception onirique du réel. Même si la mort coule inéluctablement dans la vie (« La vie aligne ses tombes au-dessus des toits / La mort sans discipline penche vers l’enclos / des vivants – deux mondes pour un seul »), la poétesse en harmonie avec cette nature éternelle reste enracinée dans le vivant, baignée dans la confiance et l’espérance. Son regard et son imaginaire colorent de Beauté le réel lui accordant mystère et profondeur.
Accéder à l’essence
Avec une intense acuité de tous les sens, une écriture tout à la fois légère et charnelle, Carmen Pennarun pénètre les secrets de la nature. Enchantant l’imagination, la poétesse joue avec le lexique, recherchant le mot rare, précieux et pittoresque qui sculpte la réalité, avec l’espace textuel (« Peut-être reste-t-il un mirage / -une statue de sel – / en haut / de la dune / au bout / de sa langue de sable’ »), matérialisant les vides par une percée à l’intérieur du texte (« nous rétablissons la lumière dans la demeure / que le vide gagnait »). Elle jongle avec des vers aux vastes enjambées, libérés des rimes et parfois même de la ponctuation, des versets, concrétisation du souffle cosmique. Et parfois elle lance des clins d’œil teintés d’humour en renouvelant et en métamorphosant des clichés : « Laissons battre le non faire », « croix d’eau, croix de feu », « cueillir son trèfle à quatre vents », « libérant foudre d’escampette »…). La symphonie de ses poèmes au rythme fluide et souple concrétise sa sensibilité, la richesse et la beauté de ses paysages intérieurs, nous permettant de déceler ce que le voile de l’habitude nous empêche de voir et d’atteindre l’essence du réel.
Carmen Pennarun projette le lecteur dans une espèce d’extra temporalité avec des poèmes d’une grande densité au fort pouvoir incantatoire.