Bernard Poullain, pour éviter l’oubli
De la poésie on attend beauté, d’elle on attend illumination voire des éblouissements. Je n’aurai pas l’indécence d’utiliser de tels qualificatifs en parlant du livre de cris de Bernard Poullain : « Il a neigé dur les baobabs » que les éditions Constellations et Amalia Achard ont le courage de nous proposer.
Car la douleur, les souffrances, sont au-delà de la joliesse de ce que la poésie a coutume de mettre en avant. L’écriture de Bernard Poullain est suffisamment habitée par les drames de l’humanité qu’elle n’a pas besoin de fioritures. Au contraire elle va droit au cœur et réveille en nous tant d’indignations qu’elle fait son office salvateur. La poésie est là également pour dire. Et en premier lieu dans une longue laisse qui nous fait vivre au plus près les espoirs, les inquiétudes, les peurs, les désillusions, la misère en somme des hommes et des femmes qui un jour décident d’aller voir ailleurs si la vie est meilleure. Et c’est souvent le pire qui est au bout du chemin. L’auteur, dont la plume vibre d’émotion, par des mots de grande justesse nous entraîne en ce voyage vers la détresse.
Après ce récit qui remue l’âme, il enchaîne avec, hélas, la longue litanie des horreurs humaines. Hélas, parce qu’on suppose qu’elle n’est qu’un simple échantillon de toutes les ignominies. L’homme, selon l’adage bien connu, est un loup pour l’homme. Alors Bernard Poullain nous invite dans des textes de sublime déchirement à nous souvenir du mal qui est de tout temps et du mal qui est en tout lieu (boucheries de 14, l’effondrement des Twin Towers, le massacre du Bataclan, l’assassinat des membres de Charlie, Alep, l’Ukraine, etc.).
À titre d’exemple, j’évoquerai le drame de ce petit enfant, Ilyan, petit migrant retrouvé mort sur une plage en Italie, petit ange rejeté par la mer ogresse, mais surtout victime innocente de la cupidité des passeurs. L’auteur nous raconte son histoire avec une simplicité si déchirante. Écoutez-en l’épilogue : « Oui ! Sa courte vie ne valait-elle pas, aux yeux du Dieu de ses pères, infiniment plus que celle de toute l’humanité ? Il n’a jamais haï, il a toujours aimé ! Il n’a pas connu ses bourreaux ni leurs complices. Car nous sommes tous un peu complices. Tout bourreau a besoin de comparses. Et les vagues, encore, le bercent, le caressent doucement. Il ne ressent plus rien. De quand date son dernier sourire ? Son dernier cri ? Chacun de nous a sans doute versé une larme : Et après ? Que restera-t-il de nos vaines vagues de remords ? »
Au début de cette recension, je commençais par signifier que la poésie ne pouvait se résumer à un jeu qui n’aurait de but que la beauté. L’art de Bernard Poullain, si touchant, si nécessaire, le démontre à chaque page. Cependant, si c’est la qualité que l’on doit lui concéder, il n’en reste pas moins que son style de tendre humilité émerveille et emporte. On ne saurait le taire, Il a neigé sur les baobabs, avec ce titre magnifique et cette couverture splendide, est un recueil qui bouleverse. Et c’est heureux qu’une telle œuvre ait pu voir le jour car comme Bernard Poullain le précise, pensant aux malheureux qu’il évoque : « Nul ne saura leur sort, alors je raconte / Pour qu’on pense à eux, qu’on prie pour eux. »
Daniel Malbranque