Entrer dans l’espace pictural de Baruch Elron (1934-2006), c’est apprendre à laisser cohabiter ancien et présent, à revisiter des histoires bibliques transposées dans notre temps. Mais, si Elron est inspiré par ses origines juives, ses peintures sont à la fois nostalgiques et universelles, naviguant dans les filets du temps comme d’éphémères papillons qui renaissent à chaque instant dans l’envol de son pinceau. Elron est un magicien, qui joue avec les couleurs, compose des premiers plans délimitant l’espace de la toile pour attirer notre regard, mais derrière, il inscrit un autre horizon à découvrir, tel un jeu de piste pour nous inviter dans son intimité. Il y dépose aussi des objets hétéroclites en apparence, des balles de fusil abandonnées près d’un vase bleu, des insectes, des bulles transparentes, comme des rébus à décoder. Elron capte notre attention puis suggère, semble nous lancer un défi.
Comment qualifier son style ? Imaginaire et réaliste à la fois, fantastique, un brin subversif, surréaliste, intimiste parfois, ludique aussi ? – Comme écrit son biographe Adrian Grauenfels : « Avec son originalité et son esprit artistique imaginatif, Elron influença fortement l’art israélien et étranger. Le style réaliste-fantastique tient compte de l’environnement, de la condition humaine et du comportement complexe de ses semblables. Il cherche à déchiffrer le cœur et l’âme du sujet. Son esthétique atteint ce moment magique où l’artiste trouve l’équilibre parfait entre abstrait et réel, enfance et vieillesse, lumière et ombre, rêve et réalité. »
Elron osa et fit, intégrant des personnages bibliques à notre époque, n’hésitant pas à revêtir le prophète Jonas avec une combinaison de plongée, entouré de nos déchets. Elron évoque nos paradoxes humains, il observe et met en scène nos outrecuidances. Sa Tour de Babel a huit jambes et son diptyque de Sodome et Gomorrhe présente d’un côté une scène débridée et carnavalesque, de l’autre un sol mosaïque à damiers noir et blanc qui semble prolonger un rocher, puis une chaise en chair aux formes féminines avec, au sol, des bulles d’espoir. Il y a de l’inachevé et une possible espérance dans son œuvre. Rien n’est totalement triste et désespéré.
Avec Adam et Eve, il n’hésite pas à bouleverser les symboles en remplaçant les feuilles de figuier qui cachaient leur nudité par des billets, des dollars en l’occurrence, dont l’allusion au libéralisme économique et à notre société de consommation effrénée est évidente. Mine de rien, Elron dénonce, et si certains trouvent ses représentations quelque peu iconoclastes, qu’importe ! Car son œuvre entière est impressionnante, par sa composition, par un style Renaissance revisité parfois, un clin d’œil à la Vinci, un brin de Dali, avec des toiles narratives où affleurent des symboles éternels. Baruch Elron est unique et c’est en cela que l’on reconnaît un grand peintre, un maître pour la postérité qui s’inscrit dans la Grande Toile de l’humanité.
Voici un livre-album, un livre-musée à lire et à regarder dont je conseille amplement la découverte. À savourer sans retenue, sans oublier les bribes de poèmes qui l’accompagnent !
Merci à Adrian Grauenfels pour cette compilation d’œuvres d’Elron ainsi qu’à l’animatrice des éditions Constellations pour cette excellente publication.
Josselyne Chourry – 19/08/2023