Bernard Poullain, pour éviter l’oubli

Retour de lecture de Daniel Malbranque

De la poésie on attend beauté, d’elle on attend illumination voire des éblouissements. Je n’aurai pas l’indécence d’utiliser de tels qualificatifs en parlant du livre de cris de Bernard Poullain : Il a neigé dur les baobabs que les éditions Constellations et Amalia Achard ont le courage de nous proposer.

Car la douleur, les souffrances, sont au-delà de la joliesse de ce que la poésie a coutume de mettre en avant. L’écriture de Bernard Poullain est suffisamment habitée par les drames de l’humanité qu’elle n’a pas besoin de fioritures. Au contraire elle va droit au cœur et réveille en nous tant d’indignations qu’elle fait son office salvateur. La poésie est là également pour dire. Et en premier lieu dans une longue laisse qui nous fait vivre au plus près les espoirs, les inquiétudes, les peurs, les désillusions, la misère en somme des hommes et des femmes qui un jour décident d’aller voir ailleurs si la vie est meilleure. Et c’est souvent le pire qui est au bout du chemin. L’auteur, dont la plume vibre d’émotion, par des mots de grande justesse nous entraîne en ce voyage vers la détresse.

Après ce récit qui remue l’âme, il enchaîne avec, hélas, la longue litanie des horreurs humaines. Hélas, parce qu’on suppose qu’elle n’est qu’un simple échantillon de toutes les ignominies. L’homme, selon l’adage bien connu, est un loup pour l’homme. Alors Bernard Poullain nous invite dans des textes de sublime déchirement à nous souvenir du mal qui est de tout temps et du mal qui est en tout lieu (boucheries de 14, l’effondrement des Twin Towers, le massacre du Bataclan, l’assassinat des membres de Charlie, Alep, l’Ukraine, etc.).

À titre d’exemple, j’évoquerai le drame de ce petit enfant, Ilyan, petit migrant retrouvé mort sur une plage en Italie, petit ange rejeté par la mer ogresse, mais surtout victime innocente de la cupidité des passeurs. L’auteur nous raconte son histoire avec une simplicité si déchirante. Écoutez-en l’épilogue : Oui ! Sa courte vie ne valait-elle pas, aux yeux du Dieu de ses pères, infiniment plus que celle de toute l’humanité ? Il n’a jamais haï, il a toujours aimé ! Il n’a pas connu ses bourreaux ni leurs complices. Car nous sommes tous un peu complices. Tout bourreau a besoin de comparses. Et les vagues, encore, le bercent, le caressent doucement. Il ne ressent plus rien. De quand date son dernier sourire ? Son dernier cri ? Chacun de nous a sans doute versé une larme : Et après ? Que restera-t-il de nos vaines vagues de remords ?

Au début de cette recension, je commençais par signifier que la poésie ne pouvait se résumer à un jeu qui n’aurait de but que la beauté. L’art de Bernard Poullain, si touchant, si nécessaire, le démontre à chaque page. Cependant, si c’est la qualité que l’on doit lui concéder, il n’en reste pas moins que son style de tendre humilité émerveille et emporte. On ne saurait le taire, Il a neigé sur les baobabs, avec ce titre magnifique et cette couverture splendide, est un recueil qui bouleverse. Et c’est heureux qu’une telle œuvre ait pu voir le jour car comme Bernard Poullain le précise, pensant aux malheureux qu’il évoque : Nul ne saura leur sort, alors je raconte / Pour qu’on pense à eux, qu’on prie pour eux.

Daniel Malbranque

La poésie est une femme – Josseline Chourry

Retour de lecture de Jean-Paul Gavard-Perret

L’Eve de Josseline Chourry est autant la première des femmes que celle des temps nouveaux. Elle est donc la primitive du futur. Elle devient tout autant cosmique en ses appels que charnelles en ses désirs.

Pour l’encenser, la poétesse invente des mondes mystérieux en une évocation subtile et ample. L’ambition de la poésie n’est plus de l’ordre du simple fantasme mais de la « connaissance ». Elle se veut de l’ordre de l’âme qui dans sa sagesse sait parfois guérir de tout.

Néanmoins le corps n’est pas absent en ses éruptions d’amour dont les flambeaux perforent la carapace humaine et ses carcans pour faire briller le sens d’une fusion qui ramène aux atomes premiers des harmonies avec le Tout.

Jean-Paul Gavard-Perret

https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/65899

Voix de feu

Si l’on en croit ses bio­graphes Car­men Pen­na­run pos­sède un secret, celui de la com­po­si­tion d’onguents et de tisanes, qui courbent les angoisses, les peines, les joies, par pointes de dou­ceur.
Mais elle ne s’arrête pas en si bon che­min et cherche l’harmonie dans la nature qui sou­vent — du moins encore pour le moment — trans­forme la vie en rose. Et pour preuve la poé­tesse d’ajouter : “toute l’agitation du monde ne chan­gera rien à ce qui demeure”.

En consé­quence, elle espère — et le prouve — que l’écriture dans son pou­voir d’incantation ouvre la porte au secret de la paix inté­rieure et laisse sor­tir sa voix trop sou­vent refou­lée. Ecrire doit donc res­ter un enchan­te­ment que la pré­sence de la nature accom­pagne. Y appa­raissent alors les hama­dryades — nymphes atta­chées aux arbres qu’elles habitent. Elles sou­tiennent  les pro­me­neuses et pro­me­neurs éga­rés dans leurs pen­sées. Il s’agit de les réveiller aux per­cep­tions des mer­veilles qui les entourent.

D’où leur cri “Évohé ! Évohé !” pour appe­ler à leur aide poètes et poé­tesses. Dès lors se reprend le pacte avec la poé­sie même si elle semble se reti­rer d’une époque qui la refuse, l’ignore, la raye  Elle reste le lien avec la liberté et devient appel à nos résis­tances dans ses gey­sers d’émotions.
En évo­quant une force de vie pre­mière, la poé­tesse  invite à l’abandon de la souf­france et à la réaf­fir­ma­tion de la confiance. Existe un appren­tis­sage de la sagesse face aux “construc­tions de paille” offertes au jeu des­truc­teur des indif­fé­rents que nous sommes.

C’est là un rapt, une féerie.

Jean-Paul Gavard-Perret

http://www.lelitteraire.com/?p=93199

Région humaine suivi de Zébulon comète et sa maîtresse

Jean-Paul Gavard-Perret

Ici des histoires se poursuivent à l’eau de rosse et au parfum de barbecue pour que nous apprenions un peu de quoi sont fait les hommes et combien ils nous ressemblent dans leurs divers passés. Nous connaissons ainsi ce qu’ils pensaient (et leurs compagnes aussi) jusqu’à parfois nous toucher en laissant autour d’eux ce vide où ils n’ont pas plus de place que dans un tiroir, sur une étagère ou au fond d’une poche ou d’un sac. Comme eux, nous n’avons que peu d’ici. C’est comme si nous avons perdu quelque chose au large. Mais sans savoir quoi.


Panorama des peintres juifs de Roumanie

Geta Deleanu, « Peintres juifs au Musée d’art de Constantza », Editions Constellations, Brive, 2023, 70 p.

Le musée de Constanza est situé dans édifice de la fin du XIXe siècle et  présente un mélange de styles architecturaux: à la fois préroman et génois, et les quatre colonnes sont ornées d’imposants lions sculptés. Au cours des années 30 du XX siècle, ses élégants salons furent le siège de la Logia Masonica de Constanza.

Le contenu du musée est considéré comme le plus important en Roumanie. Il abrite une collection assez vaste de peinture et de sculpture roumaines comprenant des artistes du 19ème et 20ème siècles.

Mais Geta Deleanu guide le lecteur vers la connaissance et la compréhension d’un univers particulier : celui des peintres juifs de ce musée pour lesquels  l’existence et l’aspiration revêtent un symbolisme particulier.

Elle évoque par exemple des tableaux comme “Plage à Dieppe” de Nicolae Vermont  connu pour ses nombreux sujets et son intérêt pour les questions sociales, ou l’expressionniste  “Paysage à Balchik” de Margareta Sterian,  figure féminine marquante du 20e siècle qui a laissé son empreinte à la fois en peinture, poésie, prose et traduction.

L’auteure dans un travail d’érudition mais parfaitement accessible  souligne comment la force d’expression d’une telle artiste marquante de l’avant-garde roumaine des années 30 qui comprenait également Hermann Maxy, Militia  et Victor Brauner. Elle a été et reste une artiste qui a influencé des générations de poètes et peintres.

Un tel livre complète de livre de Amélie Pavel « Jewish Painters in Romania » qui n’a jamais été publié en français. D’où l’importance du livre de Geta Deleanu.

Jean-Paul Gavard-Perret

https://www1.alliancefr.com/actualites/panorama-des-peintres-juifs-de-roumanie-6112276